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Etes-vous observateur?

Où l'on évoque la nécessité urgente de deux nouveaux observatoires

Vous sentez-vous observés? Vous n'avez sans doute pas tort! N'avez-vous pas vous-mêmes observé quelque chose de particulier? Alors vous devez bien être les seuls... Car tout le monde, aujourd'hui, observe quelque chose. La police dispose de brigades d'observation. L'ONU met sur pied des armées d'observateurs. Chez les politiciens, les chercheurs, les experts, on pense surtout «observatoires».

A l'époque où l'on avait l'habitude de tout conserver, on possédait des conservatoires. Maintenant que la mode est de tout observer, on crée des observatoires. Observatoires de la criminalité, des phénomènes migratoires, du tourisme, des assurances, des nouvelles technologies, de la météo ou de la cueillette des fraises. Tout rapport qui se respecte doit consacrer une partie de sa généreuse épaisseur à revendiquer la création - toujours urgente - d'un observatoire sur son sujet. Car, problème observé étant déjà à moitié résolu, un observatoire constitue le point de départ incontournable de tous les remèdes miracles à tous les problèmes de la Terre. Et c'est ainsi que des centaines d'observatoires occupent des milliers d'observateurs qui enregistrent des millions d'observations, sans doute au prix de milliards de francs.

A l'époque, les observatoires travaillaient avec des télescopes pointé sur des étoiles inconnues. Désormais, un observatoire se compose de fonctionnaires et de classeurs remplis de découvertes déjà connues. Des découvertes qui doivent confirmer les présupposés de départ et permettre à des chercheurs de poursuivre leurs recherches, à des politiciens de prolonger leurs mandats, à des théoriciens de justifier leurs théories, à l'Etat d'agir enfin pour assurer le bonheur des individus.

Deux choses n'ont guère été observées jusqu'ici. La première, c'est la multiplication désordonnée des observatoires. D'où la nécessité de créer un observatoire des observatoires. La seconde, c'est l'opinion pertinente de ceux qui pensent que c'est vraiment n'importe quoi. Un observatoire des ronchons permettrait de mieux mettre en évidence cet avis définitif sur la question.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 18 octobre 2002)