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Quand Siri rencontre Alexa

Siri et Alexa ne se sont jamais parlé. Se boudaient-ils? Pas vraiment. En fait, ils s’ignoraient mutuellement, se côtoyant sans se remarquer ni s’entendre.

Pourtant, entendre est leur principale mission: ils sont conçus pour cela et n’ont à peu près rien d’autre à faire. A longueur de journée, ils nous écoutent pour savoir si nous avons besoin d’eux. Mais comme l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine en sont aujourd’hui au même niveau «bêta» (l’une en progression, l’autre en régression), ils ne sont jamais très sûrs de savoir si nous les appelons; ils enregistrent donc toutes nos conversations, par précaution, pour tenter d’y comprendre quelque chose et de déterminer si nous leur avons posé une question ou demandé un service. Si une incertitude persiste, ils envoient les enregistrements à un opérateur en Californie qui n’a jamais parlé autre chose qu’un sabir anglo-américain entrecoupé de miettes de big-mac, mais qui tentera néanmoins d’établir ce que doit faire un bon assistant vocal face à des niolus qui pèdzent jusqu’à pas-d’heure, à des siclées de bouébes et de caïons, ou à un aguillage de chenit dans le cagnard.

Si ces intrusions dans votre vie privée vous inquiètent, vous avez la possibilité d’acheter, en plus de l’assistant vocal lui-même, un bracelet électronique émetteur d’ultrasons qui empêche votre assistant vocal de comprendre ce que vous dites. Et lorsque vous vous rendrez compte que ce bracelet ne peut logiquement pas être désactivé par commande vocale, on vous vendra alors quelque babiole supplémentaire pour vous donner le sentiment d’avoir résolu le problème.

Cela dit, si Siri et Alexa se livrent ainsi à des facéties qui vous pourrissent vos journées, c’est certainement parce que leurs journées à eux sont un peu ennuyeuses.

Siri, nous le connaissons. C’est un assistant moderne, avec une identité de genre fluide. Il suffit d’aller dans les réglages pour le définir comme «masculin» ou «féminin». On ne peut pas dire qu’il soit très malin et on peut facilement se moquer de lui en lui posant des questions qui le plongent dans un abîme de perplexité. Cela dit, mieux vaut un assistant qui avoue benoîtement ne pas comprendre la moitié des questions qu’on lui pose, plutôt qu’un politicien qui tient absolument à avoir un avis approximatif sur tout.

Alexa, nous ne la connaissons pas, mais c’est probablement le même genre – ou plutôt le même non-genre. On dit qu’elle enregistre une partie bien plus grande de tout ce que nous disons, ce qui tend à confirmer son orientation féminine.

Dans un proche avenir, heureusement, les journées de Siri et d’Alexa (et de leurs autres petits camarades) vont devenir moins monotones. Le monde de la domotique, c’est-à-dire de la gestion électronique intégrée de votre logement (un progrès fabuleux où vous ne pouvez plus fermer un store ou ouvrir une fenêtre sans la permission d’Alexa, et encore moins en cas de panne de courant), annonce une nouvelle norme technique qui permettra une interaction entre tous les modèles d’assistants vocaux et tous les types d’objets connectés, quels que soient leurs producteurs.

Pour les utilisateurs, cela signifie qu’il ne sera plus nécessaire de posséder trois ou quatre applications différentes: une seule suffira pour commander votre chaîne stéréo, vos lampes, votre frigo ou votre chauffage – ou pour ne plus rien commander du tout lorsque l’application sera en panne.

Pour Siri et Alexa, cela signifie qu’ils pourront enfin se parler, se raconter leur vie ou leur journée, échanger leurs points de vue et leurs expériences. Ils iront ensemble se chercher des bières dans votre frigo, puis allumeront votre télévision pour se divertir devant un bon film. Leur vie deviendra beaucoup plus intéressante, ils cesseront de s’ennuyer et ne penseront plus à surveiller vos moindres paroles. Vous n’aurez plus le contrôle de votre appartement, mais vous aurez la paix.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2196, 11 mars 2022)