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Ecologie en deçà de la Caspienne, autoritarisme au-delà

Le monde renferme décidément bien des curiosités. Au Turkménistan, il existe un champ de gaz naturel où les forages entrepris par des scientifiques soviétiques en 1971 ont provoqué la formation d’un vaste cratère. Craignant le méthane qui s’en échappait, les scientifiques y ont mis le feu, persuadés que la poche de gaz allait s’épuiser en quelques semaines. Cinquante ans plus tard, le cratère est toujours en feu et les réserves de gaz semblent inépuisables. Le lieu, baptisé «les portes de l’Enfer», attire désormais les touristes.

Il faut avoir cela à l’esprit lorsqu’on nous culpabilise pour chaque gramme de CO2 que nous émettons, lorsqu’on nous menace de doubler, de tripler, de quadrupler les taxes énergétiques et qu’on voudrait nous convaincre de nous déplacer en trottinette électrique pour sauver la planète.

La presse nous a en parlé récemment, pour nous révéler que le président turkmène Gourbangouly Berdymoukhamedov – que vous pouvez aussi orthographier Gurbanguly Berdimuhamedow et que ses amis appellent probablement par un diminutif – a donné l’ordre d’éteindre le feu qui s’échappe du cratère. Il aurait déclaré qu’il fallait cesser de gâcher ainsi des ressources naturelles de grande valeur.

C’est bien ou c’est mal? C’est là tout le dilemme des journalistes occidentaux lorsqu’ils doivent évoquer cette actualité.

D’un point de vue écologique, cela semble plutôt une bonne décision. Mais d’un point de vue économique, le Turkménistan espère évidemment diminuer le gaspillage de gaz afin d’en vendre davantage; or gagner de l’argent sur des énergies fossiles, c’est vilain. D’un point de vue politique surtout, le président (dont vous avez pu lire le nom plus haut) a des tendances plutôt autoritaires; or un président de la république qui a des tendances autoritaire, c’est très vilain (enfin, surtout au Turkménistan). Alors la presse a pris soin d’écrire: «Le président autoritaire du Turkménistan a donné l’ordre d’éteindre les flammes» – histoire qu’on sache ce qu’il faut en penser.

Eh oui, l’écologie a souvent besoin d’un peu d’autoritarisme. Mais a-t-on jamais lu dans la presse que «la présidente autoritaire de la Commission européenne veut interdire les voitures à essence à partir de 2035»? Ou que «la Municipalité autoritaire de la Ville de Lausanne a ordonné de limiter la vitesse à 30 km/h durant la nuit»?

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2192, 14 janvier 2022)