Tous mes articles

Le jeu des deux différences

La bonne et la mauvaise

Le Canton avait un «Monsieur Z», la capitale a une «Madame Z». La municipale lausannoise était interviewée il y a quelques semaines dans un journal hebdomadaire gratuit. Elle y attaquait vaillamment l'insoutenable diversité des communautés humaines: «(...) ce qui est intolérable pour moi, c'est la différence entre les diverses collectivités. Entre les cantons et aussi les communes plus ou moins riches.» Il est vrai que Lausanne, à force d'attirer les cas sociaux et de faire fuir ses habitants aisés, à force de distribuer des aides sociales aux improductifs et de dilapider les impôts payés par ses derniers contribuables... n'a désormais plus un rond et s'emploie donc à faire cracher au bassinet les communes moins désargentées.

Après ce plaidoyer en faveur du catéchisme communiste - on prendra à celui qui a et on donnera à celui qui l'envie - et cette condamnation de la différence intolérable, Madame Z évoquait un peu sa modeste personne, expliquant: «(...) j'ai des convictions très fortes telles que la tolérance ou l'acceptation de la différence (...)».

Ou bien cette dame manque de suite dans les idées, ou bien elle a changé de conseiller en communication au milieu de son texte...

Ou alors elle a voulu nous faire comprendre quelque chose de beaucoup plus profond et de beaucoup plus sérieux. Par exemple qu'il y aurait deux sortes de différence: la bonne différence et la mauvaise différence. La bonne différence est celle qui nous arrange même si elle dérange les autres, tandis que la mauvaise différence est celle qui nous dérange alors même qu'elle arrange les autres - et l'on voit ainsi que la différence est une chose extrêmement identique à beaucoup d'autres! Pourtant la différence a ceci de différent qu'elle revient plus souvent que la moyenne dans les discours politiques, aussi bien au chapitre des scandales que l'on dénonce que dans la liste des qualités dont on se félicite. Tantôt comme un mot suave et abstrait que l'on apprend à prononcer avec conviction, tantôt comme un ensemble de situations concrètes refusant insupportablement de se plier à l'idéologie. La différence est un produit miracle lorsqu'il s'agit de répondre à une interview ou de rédiger un discours.

Le droit à la différence s'accompagnant du devoir de lutter contre les différences, les seules différences admises sont celles qui sont communes à tout le monde. Le plus important est donc de réussir à être différent de la même manière que les autres. Les politiciens y parviennent admirablement.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 25 juillet 2003)