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Le progrès en conserve

Depuis dix ans, les mêmes progressistes dénoncent les mêmes conservateurs

Des études scientifiques avaient pourtant confirmé ce que tout le monde croyait avoir déjà facilement remarqué: que les journalistes, contrairement au reste de la population, étaient très majoritairement de gauche. Dès lors, on pouvait légitimement être surpris de lire dans L'Hebdo du 28 août un éditorial intitulé «Brunner-Blocher: même combat?» Le point d'interrogation n'avait d'ailleurs qu'une valeur formelle, la conviction du rédacteur en chef étant faite. Après le petit crachat réglementaire contre l'UDC, ce sont les socialistes qui se prennent une volée de bois vert: «Leur combat contre d'indispensables réformes nous fait prendre du retard (...). Conservatisme de gauche et conservatisme de droite nuisent tous deux à l'avenir du pays.» Tout cela pour introduire la vedette de la semaine: un vieux professeur d'économie regonflé à l'ultra-libéralisme belliqueux et perclus de dénigrement dédaigneux envers la Suisse. L'interview de ce monsieur représente six pages d'idées exclusivement fausses: exacerber la concurrence fraîche et joyeuse, détruire avec acharnement les ententes économiques, remettre en cause nos «mythes», en finir avec le fédéralisme et avec la démocratie directe, sortir de notre «isolement», ouvrir les frontières, adhérer à une Union européenne qui n'a que des avantages... Une analyse jugée «ébouriffante» par l'intervieweur de service, béat d'admiration.

Un «véritable libéral» élevé au rang de gourou cosmo-journalistique! La presse brûlerait-elle ses anciennes idoles? En fait, on se leurrerait en croyant que ces gens de plume se soient jamais souciés de la condition de vie des ouvriers, de la justice sociale ou de la lutte des classes. Ce qui leur plaît à gauche, c'est bien plutôt l'idée de révolution, de désordre, de changement permanent, de dénigrement de ce qui existe et de ce qui dure. De ce point du vue, le progressisme de gauche et le progressisme de droite se rejoignent en effet dans une même gesticulation nuisible.

Tout cela n'est d'ailleurs guère nouveau, ni sur le fond, ni dans le style. L'Hebdo du 28 août 2003 a comme un air de déjà vu. Il ressemble à L'Hebdo de ces dernières années. Il ressemble à feu Dimanche.ch. On peut remonter plus loin. Les idées décapantes qui décoiffent, le style haché et emphatique, les grandes envolées visionnaires, le dithyrambe frénétique et répétitif, ça ne vous rappelle rien? L'Hebdo de 2003, c'est le Nouveau Quotidien de 1992, à l'époque où le grand Jacques Pilet commençait à inspirer les programmeurs de la «Logomachine»! Vous avez dit conservatisme?...

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 5 septembre 2003)