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Qui ose encore douter du changement médiatique?

Il y a sept ans, à Kiev, une partie de la population ukrainienne (dont quelques spécimens excentriquement accoutrés et tatoués à souhait) prenait violemment d’assaut les institutions et le pouvoir autour de la place Maïdan. Chez nous, les faiseurs d’opinion nous présentaient avec admiration cette révolte populaire qui incarnait le changement et la démocratie.

En ce début d’année 2021, les choses ont bien changé. De semblables scènes, quoique plus brèves et moins violentes, nous sont décrites comme un trouble inadmissible de l’ordre public et comme un outrage aux institutions. Elles le sont, assurément; mais comment expliquer ce changement de point de vue et cette indignation soudaine?

On pourrait avancer cette explication triviale et cynique: lorsque des gens qu’on aime bien en attaquent d’autres qu’on n’aime pas, c’est bien, tandis que si ceux qu’on n’aime pas attaquent ceux qu’on aime bien, c’est mal. Mais enfin, nous nous faisons une bien trop haute idée de la rigueur intellectuelle de la presse et des médias pour envisager que ce soit la seule explication. Il doit forcément y avoir autre chose…

A la réflexion, nous nous demandons si les journalistes n’ont pas tout simplement fini par abandonner leurs vieux réflexes anarchistes et par se laisser séduire par l’univers bourgeois, institutionnel, voire carrément militariste. Voyez comme les journaux d’aujourd’hui, lorsqu’ils analysent les mesures sanitaires de la Confédération et des cantons, ne supportent plus rien qui ne soit pas parfaitement aligné et uniforme! Une sorte de syndrome du sergent-major qui surveille que les couvertures soient bien pliées et les chaussures bien cirées, sinon il gueule que ça ne va pas et qu’on ne peut pas travailler dans un tel désordre. Les éditorialistes nous convainquent peu à peu que la diversité est synonyme de chaos et que le salut ne vient que de l’ordre et de la discipline. En très peu de temps, le paysage médiatique a passé du militant au militaire, de l’arc-en-ciel au camouflage gris-vert.

On dit que seuls les ânes ne changent pas d’avis. (Mais on dit aussi que les ânes sont des animaux supérieurement intelligents, ce qui explique peut-être cela.)

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2166, 15 janvier 2021)