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Artificielle mais fédéraliste

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Les réseaux sociaux informatiques sont en passe de devenir les seuls lieux de sociabilité autorisés. D’abord parce que les autorités sanitaires considèrent aujourd’hui – pour notre bien, toujours pour notre bien – qu’il est dangereux que nous nous trouvions en compagnie d’autres êtres humains (et surtout que nous apercevions leur visage, car la peur de la Gorgone Méduse n’a pas disparu au XXIe siècle). Ensuite parce que ces réseaux sont plus facilement contrôlables par les autorités morales qui veillent sur nous et sur la droiture de nos pensées.

Ce contrôle n’est toutefois pas une mince affaire, au point qu’on s’en remet de plus en plus à des algorithmes d’«intelligence artificielle» chargés d’analyser automatiquement les contenus publiés. Ces algorithmes savent déjà faire beaucoup de choses, comme bloquer les messages qui disent du bien de Trump et ceux qui disent du mal de ses adversaires. Ils réussissent en principe à identifier les «appels à la haine» – sauf les fatwas contre des enseignants français, qui ne sont repérées qu’a posteriori. Parfois, l’intelligence artificielle n’en fait qu’à sa tête (aucun rapport avec ce qui précède) pour réduire au silence les sources qui lui paraissent malsaines ou suspectes.

Le réseau Twitter a ainsi bloqué automatiquement le compte d’une ONG écologiste ukrainienne qui semblait avoir trop de succès (c’est en effet suspect), mais aussi celui d’une agence photographique suisse créée il y a cinq ans (accusée de violer les règles car le propriétaire d’un compte doit avoir treize ans révolus). Enfin, au début de ce mois d’octobre, ce sont les comptes de l’Office fédéral de la communication qui ont été brutalement suspendus, sans un mot d’explication, avant d’être réactivés quelques jours plus tard.

Nous avons toujours souri de ceux qui idolâtrent l’intelligence artificielle. Mais si cette dernière est désormais capable d’avoir des réflexes du genre «administration fédérale = pas bon = dire non = tout bloquer», sans autre forme d’argumentation, alors nous révisons notre jugement et prédisons un bel avenir aux algorithmes: nous sommes prêts à voter pour eux aux prochaines élections!

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2160, 23 octobre 2020)