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Mauvaise humeur sur un tampon-encreur

Le démantèlement du service public expliqué aux profanes

Cette semaine, nous ne voulons parler ni de la capture de Christoph Blocher ni de l'élection de Saddam Hussein, mais plutôt des problèmes compliqués qui intéressent les gens simples. La réduction des emplois à la Poste par exemple.

Cela se passe dans une entreprise de la région lausannoise. Chaque jour, des centaines de lettres partent et arrivent par la Poste. Pour celles qui arrivent, ce n'est pas compliqué: on peut inscrire le nom et le numéro de la rue, ou alors la case postale. C'est du pareil au même. Du moins aux yeux du commun des mortels. Aux yeux des employés de la Poste, c'est très différent. Ce n'est même pas du tout la même chose. Dans la commune, tout le monde connaît l'entreprise en question. Les employés de la Poste, eux, ne connaissent que le règlement. Et le règlement dit qu'il faut marquer «case postale» et pas le nom et le numéro de la rue. Dès lors, sur tous les courriers qui arrivent avec le nom et le numéro de la rue - c'est à dire à peu près tous les courriers puisqu'il s'agit de l'adresse officielle -, un fonctionnaire zélé ajoute consciencieusement un tampon «case postale». Même les lettres expédiées par la direction générale de la Poste passent ainsi à la correction! Vu la quantité du courrier, les horaires de la Poste et le soin apporté à l'impression, il doit s'agir d'un emploi à plein temps.

Ce petit tampon qui nous tombe sous les yeux plusieurs fois par jour a quelque chose d'exaspérant. Bien sûr, on pourrait avoir de la compassion pour celui qui doit accomplir ce travail inutile et répétitif à longueur de journée. La Poste vient d'annoncer la suppression de nombreux emplois, et peut-être que parmi eux se trouve celui de la personne chargée de tamponner «case postale» sur tous les courriers destinés à cette entreprise. Seulement voilà: la Poste vient aussi d'annoncer une hausse du prix du courrier dès le 1er janvier. (La libéralisation, dit-on, fait baisser les prix. C'est vrai pour les prix qui baissent, mais c'est assez inexact en ce qui concerne les prix qui augmentent.) Si cette hausse du prix du courrier ne sert finalement qu'à financer l'usage intempestif d'un tampon encreur «case postale» qui suscite notre mauvaise humeur chaque matin, alors on en vient fatalement à penser que la Poste ferait mieux de licencier l'employé importun et de nous apporter notre courrier immaculé.

Cet exemple illustre ainsi d'une manière très pragmatique ce que les syndicats appellent le démantèlement du service public.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 26 décembre 2003)