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Ensemble, lisons La Nation

Ensemble… Avez-vous déjà remarqué à quel point cet adverbe envahit notre quotidien? A quel point il est omniprésent dans les innombrables communications dont on nous abreuve? On le retrouve dans les publicités, dans les messages de prévention ou d’encouragement, dans les injonctions et dans les conseils insistants. Ensemble : voilà un terme qui évoque le groupe uni et soudé, plus fort que l’individu livré à lui-même. Ensemble, c’est positif, amical, roboratif, revigorant, rassurant, entraînant et motivant. C’est dissuasif aussi: cessez de n’en faire qu’à votre tête, nous fait-on comprendre, car le groupe doit agir en commun.

L’incontournable corollaire, c’est l’utilisation de l’impératif à la première personne du pluriel. Nos voisins français en font un usage compulsif depuis des années, et cette mode déteint désormais chez nous. Lorsqu’une autorité quelconque veut orienter le comportement du public, elle ne dit pas: «Faites ceci!», ou: «Respectez cela!», mais: «Agissons ensemble!» ou: «Luttons ensemble!» Ces expressions, toujours prononcées sur un ton aussi lénifiant que faussement volontariste, sont censées nous convaincre que l’actrice chargée de lire le message est avec nous, qu’elle est solidaire, prête à nous accompagner dans la difficile démarche qui est exigée de nous. Ça nous fait chaud au cœur, ça nous donne le courage d’obéir.

Parmi les foyers où se répand actuellement cette véritable épidémie d’exhortations sirupeuses, il faut citer les bus lausannois qui affichent ce message depuis des semaines: «Responsables ensemble». Ensemble? Mais pas à plus de cinq personnes, alors? Quelques esprits chagrins font remarquer que cette communication – comme toutes les autres qui défilent par intermittence à Noël, à Nouvel-An, à la Saint-Valentin ou lors des Jeux olympiques – a pour principal effet de nous empêcher de voir immédiatement le numéro de ligne du bus qui nous tend ses portes ouvertes pendant d’ultimes secondes sans qu’on puisse savoir si nous allons nous retrouver ensemble dans la mauvaise direction.

La Ligue vaudoise, heureusement, s’en est tenue jusqu’à présent à une formule beaucoup plus traditionnelle, suffisamment impérative tout en laissant chacun choisir entre l’exécution individuelle ou communautaire: Lisez La Nation!

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2150, 5 juin 2020)