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Le pain et le sel

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Pour Berne, le pain suisse est encore trop salé. L'Office fédéral de la sécurité alimentaire veut obliger les fabricants à réduire la teneur en sel de certains aliments. […] Alors que la teneur en sel de produits tels que le pain, les sauces et les soupes a déjà fortement baissé au cours des dernières années, l'Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV) veut aller encore plus loin en imposant une quantité de sel maximale aux fabricants.

Nous lisons cela dans la presse. Voilà un bon sujet pour un «coin du ronchon»! Aussitôt notre esprit scandalisé se met en marche. Nous allons protester! Nous allons informer l’administration fédérale que, depuis Via Sicura, les amendes aussi sont trop salées! Nous allons pester contre ces fonctionnaires nuisibles, trop nombreux et désœuvrés, contre ces sinistres faces de carême stipendiées par le lobby végano-thunbergesque, contre ces agents de la Gastropo (Gastronomiepolizei) grassement payés par un impôt fédéral confiscatoire et qui attend depuis trop longtemps d’être aboli.

Et puis… nous lisons la suite de l’article. Après les protestations des boulangers, qui «ne veulent pas de pain fade et insipide» – bien répondu! – nous tombons sur ce paragraphe sidérant, que nous relisons trois fois:

Professeur émérite ex-directeur de l'institut d'immunologie à l'Université de Berne, Beda Stadler critique également cette approche: «Les gens font toujours plus attention à leur santé quand ils mangent, au point que le plaisir en devient secondaire.» De quoi entraîner des troubles de l'alimentation, selon Beda Stadler, la santé devenant une préoccupation obsessionnelle. Plutôt que de limiter, taxer ou interdire tout ce qui fait du bien, le professeur prône le libre choix: «L'objectif devrait être de vivre une vie heureuse, pas de manger des aliments sains au risque de finir déprimé ou triste pour le reste de sa vie.»

Nous ne résistons pas au plaisir de partager avec vous, cher lecteur, cet indicible mélange de stupeur incrédule et de joie frénétique: il existe donc sur Terre un scientifique, un professeur, un universitaire, qui non seulement ne prône pas le maoïsme universel pour conjurer l’apocalypse climatique, mais qui ose encore demander qu’on limite les limitations et qu’on interdise les interdictions, afin que les gens normaux puissent avoir une vie heureuse en mangeant ce qu’ils aiment.

Laissons les insipides fonctionnaires de l’OSAV continuer à picorer leurs petites graines, et remercions le professeur Stadler d’avoir redonné du goût à notre existence.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2130, 30 août 2019)