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Voyage en Transsibérien (II)

Du Baïkal à la mer du Japon

C’est à partir d’Irkoutsk qu’il faut mener l’indispensable expédition sur les rives du lac Baïkal, immense réservoir d’eau douce et symbole de la nature préservée des vicissitudes humaines. Dasha, notre guide, nous emmène durant quatre jours à travers des paysages magnifiques, sauvages et surtout étonnamment variés: après un premier contact avec les rives du lac, nous remontons par des steppes quasiment désertiques pour arriver sur l’île d’Olkhon, avec ses falaises escarpées et ses pistes tourmentées où cahotent sauvagement de vieux fourgons UAZ. Les lieux sacrés du chamanisme ponctuent notre parcours de légendes fantastiques dans lesquelles les guerriers se transforment en aigles et leurs filles en rochers. Au détour d’une colline, une surprenante carrière de marbre s’ouvre sous nos yeux, déserte, béante et étincelante.

Oulan-Oudé, où nous parvenons après avoir repris le train et longé le sud du Baïkal, est une ville encore plus dépaysante. C’est la capitale de la Bouriatie et les Russes s’y mélangent à une population essentiellement mongole. Des églises orthodoxes y côtoient des temples bouddhistes. Le centre-ville, resté marqué par l’ère communiste et orné d’une monstrueuse tête de Lénine, est bordé par de modestes quartiers d’habitation en bois, tandis que de nouvelles barres d’immeubles un peu sinistres émergent sur les terrains où autrefois – c’est du moins ce qu’on imagine – de mystérieuses usines d’armement justifiaient la fermeture de la ville aux touristes.

Contrées inhospitalières et trafic intense

A partir de là commence un long trajet de deux jours et deux nuits qui nous fait traverser le kraï de Transbaïkalie puis l’oblast de l’Amour, le long des frontières mongole et chinoise. Le train serpente le long des cours d’eau, dans des reliefs couverts de forêts grises dont le sol est blanchi par une fine couche de neige. Les rares gares offrent de brèves occasions de se connecter à un réseau téléphonique. Çà et là surgissent de fantomatiques ruines d’usines, vestiges d’une économie qui n’a pas survécu à la crise des années nonante.

Il faut tordre le cou à une croyance trop répandue: la Sibérie, ce n’est pas seulement le grand Nord. La ligne du Transsibérien reste presque constamment au sud de la latitude de Moscou et, au-dessus de nous sur la carte, ce sont des milliers de kilomètres qui nous séparent de l’océan Arctique. Par ailleurs, celui qui imaginerait une voie ferrée déserte et silencieuse, tout juste animée par deux ou trois trains chaque jour, serait surpris de constater à quel point la ligne du Transsibérien, électrifiée de bout en bout, constitue un axe de transport Est-Ouest de première importance: toutes les cinq à dix minutes, nous croisons des trains de marchandises interminables, chargés de containers ou de matériaux en vrac. Le long des voies, des équipes de la compagnie RZD s’affairent à des travaux d’entretien, et les imposants wagons de chantier qu’on aperçoit aux abords des gares laissent deviner des efforts incessants de renouvellement et de développement des infrastructures. On sait que, plus au nord, une autre «magistrale» ferroviaire se construit depuis de nombreuses années en direction de la Yakoutie.

Un Extrême-Orient assez occidental

Après que le train a encore traversé cette curiosité historique que constitue l’oblast autonome juif de Birobidjan, on parvient enfin dans l’Extrême-Orient russe. Khabarovsk, avant-dernière étape du voyage, séduit par le charme un peu désuet mais combien serein de ses boulevards stylés et de ses allées vertes qui descendent à la rencontre du fleuve Amour et des belles promenades qui le bordent. Des églises imposantes érigées au début du XXIe siècle côtoient des monuments colossaux à la mémoire de la grandeur communiste passée, mais aussi et surtout des soldats tombés dans toutes les guerres, anciennes et récentes.

Après une dernière nuit de train, nous arrivons au terme de notre voyage, à Vladivostok, où le quai de la gare est orné d’une stèle indiquant les 9288 kilomètres parcourus depuis Moscou. Tout comme Khabarovsk, la ville évoque une Russie très européenne et il faut un effort d’abstraction pour réaliser que nous sommes presque de l’autre côté de la Terre. Mais avant tout, nous sommes au bord de la mer! Là où le train s’arrête, les bateaux prennent le relais, et l’activité économique intense qui entoure ces échanges bourdonne dans les rues en pente de Vladivostok. La marine militaire est aussi fièrement présente, avec la base de la flotte russe du Pacifique. En franchissant les deux immenses ponts haubanés qui imprègnent l’image de la ville et mènent vers les quartiers sud, on peut aller visiter un vaste Océanarium inauguré en 2016.

Le Transsibérien, cette longue diagonale de la Russie, constituait le but de notre voyage. Une fois la dernière gare atteinte et au moment de s’envoler vers l’Ouest, il nous apparaît surtout comme un résumé passionnant mais trop rapide de ce pays sans fin, voire comme un prologue réclamant d’autres chapitres à sa suite.

(La Nation n° 2114, 18 janvier 2019)

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