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Le droit de payer notre différence

Au palmarès des publicités nunuches, maladroites, voire horripilantes, figurent celles que finance l'Etat pour persuader les «chers contribuables» de se faire tondre avec le sourire. Souvenez-vous de «La TAP c'est TOP!», slogan explicite par lequel le fisc vaudois avertissait son infortunée clientèle que l'imposition allait atteindre des «sommets».

Mais nous n'allons pas parler cette fois du gouvernement vaudois - ce dernier, comme l'on sait, devant réserver dorénavant ses talents de communication pour le Tribunal fédéral. Non, le «spot» publicitaire qu'il nous plaît de vilipender aujourd'hui est celui qui nous affirme d'une voix enjouée que «payer la redevance, c'est garantir notre différence». Il s'agit bien entendu de la redevance radio-télévision servant à financer les médias officiels, redevance qui s'encaisse mal depuis que, au nom de la modernité, le système qui fonctionnait assez bien a été remplacé par un système qui fonctionne plutôt mal. Quant à la différence dont il est question ici, on suppose qu'il s'agit de celle qui nous sépare des journalistes payés par ladite redevance.

Eux sont de gauche - à une écrasante majorité, comme l'a rappelé il y a peu une étude d'un professeur alémanique qui classait l'ensemble des médias électroniques officiels de Suisse romande dans la catégorie «gauche libérale». Ils sont progressistes, internationalistes, pour les étrangers, pour les musulmans, pour la Suisse et la Turquie dans l'Europe, pour la citoyenneté mondiale, contre Bush, contre l'armée, contre la police, contre les patrons (sauf les patrons de presse), contre les riches (sauf les riches journalistes). Tandis que nous qui payons la redevance, nous sommes des arriérés. Résistants au changement. Frileux. Blochériens. Obscurantistes. Bref, nous sommes différents.

Assurément, si les journalistes devaient vendre leur travail comme les commerçants doivent vendre leur marchandise, les proportions de journalistes de gauche et de droite correspondraient à celles de la population, et nous ne serions plus différents d'eux. Inversement, en finançant les chaînes publiques par une redevance, nous permettons l'existence (confortable) d'une clique de journalistes éternellement en porte-à-faux avec nos idées. Et donc nous garantissons notre différence, cqfd.

En matière de redevance radio-télévision comme en matière de taxation postnumerando, on nous martèle donc des slogans parfaitement exacts... mais dont l'exactitude consiste à avouer franchement qu'on nous prend pour des crétins. Et vous comprenez maintenant pourquoi les publicités efficaces ne disent jamais la vérité.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 12 novembre 2004)