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Eloge de la publicité

Le verbe «zapper» désigne l’action de faire défiler assez rapidement, sur l’écran d’une télévision, la publicité de la chaîne 1, la publicité de la chaîne 2, la publicité de la chaîne 3, la publicité de la chaîne 4, la publicité de la chaîne 5, et ainsi de suite. C’est ainsi qu’on peut passer des soirées entières à regarder divers programmes de publicités – ou alors à laver la vaisselle en attendant que la publicité soit terminée, ce qui suppose tout de même d’avoir beaucoup de vaisselle sale à disposition.

On comprend donc qu’il est difficile de passer une soirée sans ingurgiter quelques publicités télévisuelles, et pour peu que cette ingurgitation ne soit pas totalement passive, cela nous amène à nous poser quelques questions intéressantes à leur sujet. Notamment celle-ci: normalement, une publicité devrait donner envie au téléspectateur d’acheter un bien ou un service; pourquoi alors produit-on une énorme quantité de publicités qui donnent précisément envie de ne pas acheter les biens ou services en question?

Les publicités pour les voitures, par exemple, qui – à la notable exception d’une marque française – sont parmi les plus convenues et les plus insipides, les plus tristement dépourvues d’imagination, d’originalité, d’humour ou de second degré. Ou les publicités pour des médicaments ou des produits de nettoyage, auxquelles personne ne croit une seule seconde.

Et, surtout, toutes les publicités qui nous exhortent à choisir les prix le plus bas. Achetez n’importe quoi, n’importe quelle camelote, mais moins cher que chez nos concurrents (qui disent la même chose)! Plus les consommateurs sont riches, plus on parvient à les séduire en leur promettant des économies d’atomes de chandelles qui leur font oublier leurs beaux discours sur les produits bio et le commerce local et équitable.

L’exaspération touche à son comble lorsque l’appel à la pingrerie se double d’une répétition tellement permanente et omniprésente qu’elle confine à la saturation absolue. Nous pensons à cette jeune femme qui, pour la dix-huit millième fois chaque soir (dix-huit mille et unième au moment précis où nous écrivons cette phrase), se demande pourquoi elle n’a pas pensé plus tôt à comparer les prix de ses hôtels. Peut-être est-ce parce qu’elle est sotte, tout simplement? En tout cas, le petit hibou en robe de chambre qui lui sert de concurrent nous est définitivement plus sympathique.

Mais le premier prix de l’agacement – peut-être pas en intensité, mais certainement en durabilité, tant cette manie nous agace depuis de nombreuses années – revient à l’obstination de faire intervenir dans les publicités des acteurs et des actrices qui s’expriment avec d’épais accents non francophones. Pourquoi faut-il que du papier toilette, des sparadraps, de la sauce tomate ou des assurances contre les casse-pieds nous soient vendus par des personnes à l’accent zurichois, amstellodamien, reykjavikois, balkanique ou napolitain? Pourquoi n’engage-t-on pas des salariés indigènes pour réaliser ces publicités – plutôt que des travailleurs détachés attachés à leur parler d’origine?

On peut ainsi, en une seule soirée, faire la liste de tout ce qu’on n’a pas envie d’acheter. Et on réalise alors à quel point la publicité est un moyen efficace de faire des économies.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2104, 31 août 2018)