Tous mes articles

«Service postaux pour tous» ou «offices postaux pour tous»?

Au menu des votations de septembre prochain figure l’initiative populaire «Service postaux pour tous», déposée en 2002 par des organisations de gauche. Cette initiative s’inscrit dans le contexte de la résistance à la fermeture de certains offices postaux. Au mois de mars dernier, les Chambres fédérales ont suivi l’avis du Conseil fédéral et se sont prononcées contre cette initiative, pour le motif principal que l’essentiel de ses revendications avait été pris en compte dans une récente révision de la loi sur la poste.

L’enjeu est la formulation du mandat constitutionnel donné à La Poste. Actuellement, l’article 92 de la Constitution fédérale dit que «la Confédération veille à ce qu’un service universel suffisant en matière de services postaux et de télécommunications soit assuré à des prix raisonnables dans toutes les régions du pays». Cette exigence de service universel est jugée insuffisante par les auteurs de l’initiative, qui proposent d’y ajouter deux alinéas:

La Confédération garantit un service postal universel répondant aux besoins et aux attentes de la population et de l’économie. La réalisation de cet objectif requiert un réseau d’offices de poste qui couvre l’ensemble du pays. La Confédération veille à ce que les communes soient associées aux décisions relatives au réseau des offices de poste.

Les coûts occasionnés par le service postal universel qui ne sont couverts ni par les recettes des services réservés, ni par les redevances de concession sont pris en charge par la Confédération.

Au mandat de prestations déjà existant (assurer le service postal universel), on ajouterait donc un mandat d’infrastructure (desservir un réseau d’offices de poste). De plus, la Confédération se verrait imposer une prise en charge des coûts que La Poste ne pourrait pas couvrir elle-même.

On pourrait discuter utilement de la question de savoir si le rôle de l’Etat doit se limiter à prévoir l’existence de «services postaux», ou s’il importe réellement que les citoyens soient rassurés par la présence physique, à cent mètres au plus de leur palier, d’authentiques «offices de poste» à enseignes jaunes aux guichets desquels se tiendraient d’authentiques postiers en uniforme… Au cas où l’on serait raisonnablement convaincu de la nécessité d’élargir le maillage actuel des bureaux de poste, on pourrait encore se demander si La Poste s’y prend d’une manière adéquate, notamment lorsqu’elle supprime des offices dans des endroits isolés plutôt que dans des régions urbaines déjà bien desservies.

En l’occurrence, ces questions de fond ont été évacuées par le fait que, il y a une année, les Chambres fédérales ont approuvé une révision de la loi sur la poste, qui oblige désormais celle-ci à exploiter un réseau d’offices de poste sur l’ensemble du territoire. L’article 2 de la loi sur la poste a en effet été complété comme suit:

La Poste exploite un réseau d’offices de poste couvrant l’ensemble du pays et assure que les prestations du service universel soient disponibles dans toutes les régions pour tous les groupes de la population à une distance raisonnable.

Indépendamment de l’initiative, le mandat de prestations inscrit dans la Constitution se trouve donc complété par un mandat d’infrastructure inscrit dans la loi. Cette adjonction satisfait l’essentiel des revendications de l’initiative populaire. Et si l’on se soucie un tant soit peu de préserver la liberté d’action de l’ex-régie fédérale et de ménager les finances publiques, on ne peut que se réjouir de ce que ce mandat d’infrastructure soit finalement inscrit dans une simple loi plutôt que gravé dans la Constitution!

En fait, la principale divergence par rapport à l’initiative populaire concerne la question des coûts. Alors que l’initiative demande que la Confédération prenne à sa charge les coûts non couverts du service postal universel, la solution votée par les Chambres continue d’obliger La Poste à couvrir les coûts du service universel par ses diverses autres recettes. Cette question de financement semble être la principale raison pour laquelle les milieux de gauche n’ont pas voulu retirer leur initiative.

Bien entendu, chacun souhaite bénéficier d’offices de poste proches et performants. On conviendra toutefois qu’il serait inopportun d’imposer à La Poste le carcan très peu commercial d’un maillage territorial rigide. A plus forte raison, il serait inacceptable de dispenser cette entreprise de toute préoccupation financière et de mettre d’emblée à la charge de la collectivité les coûts d’un réseau rendu inadaptable. Pour ces raisons, il y aura lieu de rejeter l’initiative «Service postaux pour tous».

(La Nation n° 1735, 25 juin 2004)

Tags:   La Nation