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Harmoniser l’enseignement des langues: un entêtement malsain

Comme on l’a déjà vu (La Nation n° 1651 du 6 avril 2001), la décision du canton de Zurich d’enseigner l’anglais avant le français dans les écoles officielles a été très mal accueillie de ce côté-ci de la Sarine. Les Suisses romands, qui n’ont pourtant pas la réputation d’adorer la langue allemande, ont estimé que ce retard dans l’apprentissage du français constituait un geste inamical à leur endroit.

Le conseiller nationale neuchâtelois Didier Barberat a aussitôt déposé une initiative parlementaire demandant, au nom de la «cohésion nationale», que l’apprentissage prioritaire d’une seconde langue officielle de la Suisse soit inscrit dans la Constitution fédérale. A une très courte majorité, le Conseil national a accepté d’entrer en matière sur cette proposition.

La Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) a, quant à elle, exprimé son opposition et son inquiétude face à un tel ancrage constitutionnel: Il y a danger qu’une discussion sur ce sujet en prélude à une votation populaire conduise à un débat superficiel «anglais versus deuxième langue nationale», débat qui, dans l’intérêt de la cohésion nationale, doit en tout cas être évité.

Croyant pourtant à la nécessité d’une solution uniforme, la CDIP a tenté de résoudre cette question dans le cadre de «recommandations relatives à la coordination de l’enseignement des langues au niveau de la scolarité obligatoire». En vain, puisque cet exercice n’a fait que confirmer la division des cantons: douze chefs de département ont prôné la liberté de choisir la première langue étrangère enseignée à l’école, treize ont réclamé qu’on choisisse obligatoirement une langue officielle de la Confédération. Une seconde procédure de consultation auprès des instances politiques et professionnelles n’a rien donné de plus.

Une solution intermédiaire a alors été imaginée, où le choix de la première langue étrangère aurait été harmonisé par régions: dans les cantons romands, dans les cantons alémaniques proches de la frontière linguistique, et enfin dans les autres cantons alémaniques. Mais cette idée, massivement soutenue par les cantons alémaniques, n’a trouvé aucun appui dans les cantons romands et a dû être abandonnée.

Certains commentateurs ont accueilli ce nouvel échec avec une déception teintée de jubilation: les cantons n’ont pas réussi à se mettre d’accord, donc la Confédération va devoir réglementer elle-même!

Personne ne semble avoir songé que, pour éviter une inutile guerre des langues et une nouvelle intervention de l’Etat fédéral dans les affaires des cantons, on pourrait tout aussi bien laisser ces derniers agir à leur guise. Qu’importent les priorités, pourvu qu’on parvienne au même résultat? Que signifie le fédéralisme si l’on conteste aux cantons le droit de faire des choix différents? Leur désaccord persistant sur le choix de la première langue étrangère ne montre-t-il pas, justement, que cette question ne se prête pas à une solution unique? Que diraient les Romands si l’anglais leur était finalement imposé comme solution unique par une majorité de cantons alémaniques?

(La Nation n° 1660, 10 août 2001)

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