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Suisse-Europe: poursuite de la voie bilatérale

Suite au refus populaire d'adhérer à l'Espace économique européen (en 1992) et à plus forte raison à l'Union européenne (en 2001), la Suisse a entrepris de régler ses relations avec le reste de l'Europe par la voie d'accords bilatéraux, conclus à la fois avec l'Union européenne en tant que telle et avec chacun de ses quinze Etats membres. Un premier paquet de sept accords a été signé en 1999, accepté en votation en 2000 et est entré en vigueur au mois de juin 2002. Les domaines concernés sont la libre circulation des personnes, les transports terrestres et aériens, l'agriculture, la recherche, les marchés publics et l'élimination des obstacles techniques au commerce. Après une année de fonctionnement, les milieux politiques et économiques viennent de tirer un bilan positif de ces premiers accords. Mais il ne s'agit pas d'une situation figée: d'une part, la Suisse et l'Europe ont entrepris de négocier d'autres accords dans de nouveaux domaines, et d'autre part, les premiers accords vont devoir être adaptés à l'élargissement de l'Union européen.

Bilatérales II

Avant même l'entrée en vigueur des premiers accords bilatéraux, les négociateurs suisses et européens se sont entendus sur un nouveau «paquet» de dix sujets, certains évoqués mais laissés de côté lors des premières négociations bilatérales, d'autres proposés par l’UE (fiscalité de l'épargne, lutte contre la fraude), d'autres encore par la Suisse (participation aux accords de Schengen et de Dublin).

Ces négociations ont évolué de manière très inégale. Un thème a d'ores et déjà été exclu du paquet et remis à plus tard: celui des services (électricité, télécommunications, etc.), jugé trop complexe. Un accord est prêt, celui sur les produits agricoles transformés. Mais la Suisse, sans qu'on sache très bien pourquoi, lie les dossiers et ne veut rien conclure tant que les autres négociations n’ont pas abouti. Cette position, si elle est maintenue jusqu'au bout, risque bien de tout faire échouer. Ce serait dommage.

L’UE, pour sa part, n'exige de résultats que sur ses propres demandes. De fait, le dossier de la fiscalité de l'épargne, qui vise directement le secret bancaire suisse, semble avoir abouti à une position commune: l'UE se satisferait de la proposition suisse de prélever, sur l'épargne des ressortissant, européens, un impôt à la source de 35% dont les trois quarts seraient reversés aux Etats européens. Pourtant – comme dans presque tous les autres dossiers en cours! – les communiqués officiels évoquent encore des «questions restées ouvertes» et quelques petits détails à régler. Surtout, le secret bancaire reste menacé dans le cadre des autres négociations sur la lutte contre la fraude et sur l’entraide judiciaire. Et comme par hasard, au moment où l’UE semble lâcher du lest, c’est l’OCDE qui attaque la Suisse sur cette question…

EN Suisse, l’UDC a affirmé à plusieurs reprises son opposition au paquet «Bilatérales II», et l’ASIN a annoncé qu’elle lancerait un référendum contre un éventuel accord sur notre participation au système Schengen, considéré comme une perte de souveraineté sur notre territoire.

Elargissement à l’Est

Alors que les «Bilatérales II» semblent s’enliser, un autre dossier délicat se profile. L’Union européenne va accueillir en 2004 dix nouveaux membres, principalement des pays d’Europe de l’Est. Les sept premiers accords conclus entre la Suisse et l’Europe des Quinze vont devoir être élargis pour s’appliquer à l’Europe des Vingt-cinq. Pour six des sept accords, l’extension sera automatique. Il n’en ira pas de même pour la libre circulation des personnes, qui fait l’objet d’une mise en place progressive, de délais d’application et de contingents temporaires. L’application de ces dispositions aux nouveaux Etats membres doit être négociée.

La marge de manœuvre de la Suisse se révèle très faible. Lors du vote sur les accords bilatéraux, il y a trois ans, on avait cru, sur la base des déclarations officielles (La Nation l’avait écrit de bonne foi!), qu’il n’y aurait pas d’extension automatique à de nouveaux membres de l’UE. Juridiquement, c’était peut-être vrai. Politiquement, c’était faux! Un refus d’étendre la libre circulation des personnes aux ressortissants d’Europe de l’Est ferait en effet tomber l’accord actuel sur la libre circulation, et avec lui l’ensemble des sept accords bilatéraux qui constituent un paquet indissociable aux yeux de l’UE. Personne en Suisse ne voudra prendre la responsabilité d’un tel retour en arrière!

Personne? Peut-être l’Union syndicale suisse (USS)… La libre circulation des personnes appliquée à l’Europe de l’Est pourrait provoquer un afflux de main-d’œuvre sous-payée et donc une dégradation des conditions de travail dans notre pays. Tout en approuvant le principe de la libre circulation et en réaffirmant ses convictions pro-européennes, l’USS menace de lancer un référendum si des mesures de protection complémentaires ne sont pas prises dans la législation suisse. Mais le Conseil fédéral a répondu sèchement qu’il n’y avait rien à négocier. Gouvernement et syndicats sont ainsi engagés dans une partie de bluff où chacun escompte que l’autre n’osera pas remettre en question les accords passés avec l’Union européenne. Parallèlement, l’UDC et l’ASIN auront moins de scrupules à exprimer leur opposition.

* * *

La voie bilatérale est complexe et difficile, mais elle reste largement préférable à celle d’une adhésion à l’UE, où nous n’aurions plus rien à négocier. Il est donc souhaitable que les négociations en cours puissent aboutir. Dans le dossier de la libre circulation des personnes, il semble opportun, tout compte fait, d’accepter une extension aux nouveaux membres de l’UE, mais accompagnée de délais transitoires et peut-être de mesures de protection pour les entreprises et les travailleurs suisses. Dans les autres dossiers, il importe de faire aboutir ce qui peut aboutir et de défendre vigoureusement notre place bancaire et financière face aux convoitises internationales.

(La Nation n° 1710, 11 juillet 2003)

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