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Des racines et du zèle

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Le canton de Vaud veut se doter d’une permanence téléphonique «gratuite et accessible» pour permettre le signalement des «processus de radicalisation» et des «possibles actes de radicalisation».

De quelle forme de radicalisation parle-t-on? De celle à laquelle tout le monde pense, mais que les gens qui ne veulent pas avoir d’ennuis préfèrent ne pas citer? Ou alors de «toute forme de radicalisation», ce qui sera sans doute la réponse officielle? Si l’on se refuse à toute définition, alors on pourra aussi signaler les chrétiens radicaux (ceux qui croient encore en Dieu), les bouddhistes radicaux (ceux qui boudent de manière extrême) ou les Vaudois radicaux (ceux qui sont extrêmement indécis, mais qui pensent éventuellement être plutôt un tout petit peu à droite du centre). La liste des personnes signalées promet d’occuper quelques armoires de classeurs fédéraux, un peu comme les «fiches S» françaises qui sont si nombreuses qu’elles en deviennent inutilisables.

Lorsqu’on aura donc fini de dénoncer tous les radicaux du Canton, il faudra peut-être aussi commencer à signaler les fanatiques du véganisme, de l’antispécisme et d’autres puritanismes, qui commencent à faire davantage de dégâts chez nous que leurs lointains cousins de l’Etat islamique. Après les attaques contre des abattoirs, on assiste maintenant aux premiers caillassages de boucheries-charcuteries. Aujourd’hui on risque déjà de se faire agresser en sortant de chez soi avec un manteau de fourrure; demain on se fera occire en pleine rue parce qu’on aura été vu en train de mordre dans un sandwich au jambon (ou au confit de canard, ce qui est tout de même meilleur: tant qu’à mourir en martyr, autant que ce soit dans des conditions optimales).

De tels actes de carniphobie ou de carnivoraphobie n’inquiètent visiblement pas les autorités politiques et médiatiques, qui se contentent cyniquement de reléguer ces informations dans la rubrique des humains écrasés. Mais maintenant, grâce à la nouvelle permanence téléphonique «gratuite et accessible», chacun aura la possibilité d’agir, de se mobiliser, de «faire un geste» pour l’avenir de la viande: si vous voyez votre voisin manger de la salade (sans steak), prévenez la police! D’abord parce que ce produit nuit gravement à la santé (voir l’article «Il meurt après avoir consommé une laitue» paru le 3 mai dans 20 Minutes) et ensuite parce que ceux qui en mangent sont peut-être dans un «processus de radicalisation». Souvenez-vous que le terme «radical» vient du latin (de cuisine) «radix», la racine. Ingurgiter des produits qui poussent dans la terre n’est pas un acte innocent.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2096, 11 mai 2018)