Tous mes articles

Hommes et femmes: une répartition inégale de la graisse antique

Illustration

Les gardien•ne•s de l’ordre moral ont eu fort à faire, ces derniers temps, pour lutter contre l’intolérance. Un prestidigitateur qui avait fait apparaître une lionne dans une cage a dû s’excuser auprès des ami•e•s des animaux. (Et pourquoi une lionne plutôt qu’un lion, hein? Bonjour les clichés sexistes!) L’actrice française Catherine Deneuve a dû s’excuser d’avoir signé une tribune libre où elle dénonçait l’hystérie féministe. (Ces femmes non féministes devraient retourner définitivement derrière leurs fourneaux…) Le site parodique Nordpresse a vu sa page Facebook censurée pour cause de «publication de fake news». (L’intelligence artificielle a une fois de plus prouvé qu’elle dépasse désormais l’intelligence humaine.) Bref, l’ordre moral règne et il ne reste plus qu’à vaincre «No Billag» pour préserver le monde libre et démocratique.

C’est dans ce contexte qu’on a vu (re)surgir, il y a peu, une nouvelle vérité scientifique issue d’une thèse soutenue il y a treize ans par une chercheuse en anthropologie culturelle: la différence de taille entre hommes et femmes ne serait pas due à des causes biologiques, mais à une construction sociale remontant au paléolithique. En d’autres termes, la chétivité des femmes (parfois assez relative) ne doit rien à la nature, mais résulte d’une diabolique stratégie de domination des hommes, qui, à force d’empêcher leurs femmes de manger de la viande, et donc des protéines, les ont sciemment empêchées de ressembler à Steven Seagal. L’anthropologue française Françoise Héritier (pourquoi pas Héritière?) a ainsi déclaré dans les colonnes du Monde (le journal qui traque les sites internet peu fiables): «Depuis la préhistoire, les hommes se sont réservé les protéines, la viande, les graisses, tout ce qui était nécessaire pour fabriquer les os. Alors que les femmes recevaient les féculents et les bouillies qui donnaient les rondeurs.»

Las, cette vérité scientifique, pourtant reprise par de nombreu•x•ses journalist•e•s, se trouve aujourd’hui contestée, voire exposée aux railleries et aux moqueries. Nous avons récemment entendu deux individus (mâles, blancs et lecteurs de La Nation) persifler grossièrement: Puisque les femmes, entre la Création et le paléolithique, étaient encore aussi robustes que les hommes, pourquoi se sont-elles laissé faire? Pourquoi n’ont-elles pas raflé elles-mêmes tous les steaks? – Et ensuite, lorsqu’elles étaient confinées à la cuisine, pourquoi n’en ont-elles pas profité pour aller prendre quelques protéines dans le congélateur?

On entend vraiment des choses horribles! Mais que fait la police de la pensée?

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2088, 19 janvier 2018)