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Le foie gras relève de la souveraineté des cantons

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«Difficile parfois de faire entendre raison à un individu qui hésite entre le cordon bleu, le fleischkäse et un steak au tofu tendance végane comme summum culinaire.» Cette phrase délectable a paru le 28 novembre dernier dans les colonnes de 24 heures, en éditorial, sous la plume de M. Florent Quiquerez. Il faut bien avouer que nous sommes un peu jaloux de ne pas l’avoir écrite nous-même et publiée ici même.

Cette profession de foi(e) gastronomiquement incorrecte se rapportait au débat qui s’est déroulé devant les Chambres fédérales pour décider, très sérieusement, s’il fallait interdire le foie gras en Suisse. Comme dans tous les Etats communistes, des idéologues frustrés, ternes et maussades, traquent imperturbablement, et avec un sérieux qui serait comique en d’autres circonstances, les dernières traces de liberté et de bonheur chez les citoyens. La rééducation du peuple passe par la privation de tous les aliments que ne digère pas le régime au pouvoir. Il s’est donc trouvé une flopée de parlementaires alémaniques, à l’image du sinistre industriel schaffhousois Thomas Minder, pour soutenir l’idée d’une telle interdiction. Les élus romands, qui avaient voté en faveur de cette proposition il y a quelques mois parce qu’ils n’avaient pas compris de quoi ça parlait (!), ont cette fois fait bloc pour dire non à la prohibition. Nous voici avec quelques années de répit.

On aurait pu s’attendre à ce que la grande presse morigène une Suisse frileuse, éternellement en retard sur les pays les plus progressistes, une Suisse nutritivement patriarcale et conservatrice, incapable de questionner ses traditions (le foie gras de grand-papa). Mais non! M. Quiquerez – avec peut-être une pointe d’anti-alémanisme primaire – se réjouit de ce sain conservatisme, en n’hésitant pas à brandir lui-même l’étendard de la résistance au changement: «Le foie gras, c’est quand-même bien meilleur que de simples pommes de terre râpées. L’Alémanique, lui, ne raffole pas de ce mets si subtil. Pire, il le boude.» Il aurait pu ajouter: Le gras, c’est la vie!

Il est remarquable qu’on ose encore écrire de telles choses en public. Sera-ce toujours le cas dans quelques années? Cela étant, le passage le plus digne d’intérêt est la conclusion à laquelle parvient M. Quiquerez: «Tout ce débat montre aussi une différence de sensibilité culinaire.» Et voilà, on y arrive: il existe des différences culinaires entre les cantons! Les vingt-six cuisines cantonales ne représentent donc pas une complexité héritée du passé, mais au contraire une richesse identitaire et une liberté porteuse d’avenir. Et la Confédération n’est donc pas sommée de coordonner et d’harmoniser, mais au contraire de fiche la paix aux gens. Tel se conçoit le fédéralisme alimentaire!

La récente Conférence de Montreux sur le fédéralisme aurait pu davantage insister sur cette vérité première: le foie gras relève de la souveraineté des cantons.