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La durée du travail s’adapte, elle ne se décrète pas

Les Jeunes socialistes rêvent de toucher un plein salaire tout en travaillant à mi-temps, ce qu’aucune entreprise concurrentielle ne peut se permettre. Une diminution de la durée du travail doit résulter d’une adaptation à la réalité économique, et non d’un décret étatique.

Les Jeunes socialistes suisses (JSS) ont adopté cet automne un document revendiquant une semaine de travail de vingt-cinq heures pour tous les travailleurs. Leur présidente a expliqué qu’il s’agissait à la fois de corriger une injustice – les travailleurs n’auraient «jamais profité» de l’augmentation de la productivité depuis les années 1960 – et de répartir plus équitablement la quantité de travail à disposition.

Le Parti socialiste suisse, lors de son assemblée des délégués, a jugé cette revendication un peu excessive, mais il n’en a pas contesté le principe puisqu’il a validé un manifeste des Femmes socialiste suisses réclamant une semaine de trente-cinq heures.

Ces revendications sont déconnectées de la réalité. La semaine de trente-cinq heures évoque l’expérience française, que personne en Europe n’envie. Avec vingt-cinq heures, la durée «normale» du travail sera quasiment celle d’un travail à mi-temps – mais avec un salaire complet! Cela signifie que les salariés qui ont déjà les moyens de travailler à temps partiel verront leur revenu doubler sans aucun effort supplémentaire. Quant aux travailleurs plus modestes, qui ne partagent pas l’engouement de la bourgeoisie socialiste pour la «société des loisirs», ils s’empresseront d’enchaîner deux emplois – dix heures par jour. Mais existera-t-il encore assez d’emplois? Car aucune entreprise concurrentielle ne peut se permettre de voir le coût de la main-d’œuvre doubler soudainement pour une même production. Les tâches qui ne seront pas délocalisées seront robotisées ou supprimées, et le fantasme des Jeunes socialistes va ainsi donner un grand coup d’accélérateur à un mouvement… qu’ils dénoncent par ailleurs.

Le problème vient de ce que la gauche considère toujours le travail non seulement comme une aliénation, mais aussi comme une quantité finie qu’il convient de répartir équitablement entre tous les citoyens. Dans cette optique, la semaine de vingt-cinq heures n’est qu’une première étape tactique, parce qu’il faudra devenir toujours plus «libre» et répartir le solde de «non-liberté» entre un nombre de travailleurs toujours plus grand. Pourquoi pas deux heures de travail hebdomadaire? Pourquoi pas zéro?

L’histoire montre que la durée du travail a tendance à se réduire sur le long terme, et qu’elle a considérablement diminué depuis les débuts de l’industrialisation. Mais cette diminution a résulté d’une adaptation à l’évolution de la technique, ou à l’évolution d’autres circonstances économiques – qui peuvent aussi amener parfois, cas échéant, à travailler davantage. Les conditions de travail s’adaptent à la réalité, et non au décret arbitraire d’un législateur qui déciderait soudain quelle est la quantité de travail attribuée à chaque citoyen.

Pierre-Gabriel Bieri, L'Agefi, 9 novembre 2017

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