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Poissons d’octobre

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Dans notre précédent billet, nous avons évoqué la situation douloureuse de ces journalistes qui n’osent pas émettre d’avis tranché sur la crise en Catalogne, faute de savoir qui sont les «gentils» et les «méchants». Il faut se méfier des vannes que nous envoyons aux autres, car parfois elles pourraient s’appliquer à nous-même. C’est ainsi que nous avons, nous aussi, failli rester lâchement coi face à une question encore bien plus épineuse que tous les indépendantismes ibériques réunis: faut-il être pour ou contre Aquatis?

Le «plus grand aquarium-vivarium d’eau douce en Europe», qui vient s’ouvrir ses portes sur les hauts de Lausanne, a déjà beaucoup fait parler de lui. Sur internet, les esprits se sont échauffés (un effet du climat, sans doute). D’un côté, les amis de la nature se réjouissent de ce parcours éducatif qui sensibilisera les jeunes générations aux écosystèmes tout en offrant l’asile à des espèces menacées. Dans le camp adverse, les amis de la nature s’indignent de voir autant de poissons et de mammifères innocents emprisonnés et exposés au regard de leurs ennemis humains. Nous qui aimons les animaux surtout lorsqu’ils sont cuits à point, quel parti allons-nous prendre? Allons-nous critiquer les amis de la nature ou les amis de la nature? Le dilemme est de taille, mais nous n’allons pas noyer le poisson.

Instinctivement, notre inimitié la plus résolue s’adresse à ces militants antispécistes de la pire espèce, qui considèrent les animaux comme des êtres humains et vice versa, et rêvent de briser les nouvelles prisons de verre érigées à Vennes afin que leur eau impure abreuve nos sillons. Pour le plaisir de faire crousser ce Front de libération des poissons d’eau douce, nous sommes prêt à nous déclarer pour Aquatis.

Mais lorsqu’on s’est construit une réputation en étant contre tout, comment justifier qu’on prenne soudain fait et cause pour un aquarium géant où l’on ne peut même pas pêcher? Il nous manquait un chaînon d’argumentation… jusqu’à ce qu’un commentaire lu sur internet vienne nous tendre la perche: la plupart de ces animaux, paraît-il, n’ont pas été pris dans la nature mais sont déjà nés en captivité, de parents qui étaient eux-mêmes déjà nés en captivité, souvent comme leurs grands-parents, pour ne pas remonter plus loin. Voilà donc l’argument le plus convaincant: Aquatis est une ode aux grandes lignées familiales, un hymne à la gloire de la zoologie héréditaire, un «manifeste» de la tradition ichtyenne, un rempart contre le changement aquatique.

Cela vaut bien une visite.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2082, 27 octobre 2017)