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Catalogne: Poutine refuse d’intervenir

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Faut-il être pour ou contre l’indépendance de la Catalogne? Ce genre de question politique se pose assez rarement. La plupart du temps, tout le monde sait ce qu’il faut penser. La masse docile suit tout naturellement l’avis dominant de la presse et des médias, tandis que les esprits frondeurs et contestataires prennent un malin plaisir à penser le contraire.

Mais, dans l’affaire catalane, quel est l’avis des médias? Eh bien… En fait, on ne le sait pas vraiment. Pour eux aussi, le choix est difficile. Ils ont été habitués à des cas simples, où la réponse allait de soi. Les Criméens? Pro-russes, donc méchants. (Fascotte!) Les Kosovars? Anti-serbes, gentils. Les Rohingyas? Musulmans, gentils. Les Kurdes? Gentils, on ne sait plus pourquoi, mais on a toujours dit comme ça. Avec les Ecossais, il avait fallu commencer à réfléchir; mais depuis que les Anglais ont voté le Brexit et que l’Ecosse réclame de rester dans l’Union européenne, la réponse est tombée: gentils. Tout ça est aussi simple que le livret de sept. Mais la Catalogne? Là-bas, certains indépendantistes sont de gauche, donc intelligents, mais d’autres sont de droite, donc égoïstes, comme dirait notre Prix Nobel de chimie. «Indépendantiste», c’est connoté plutôt positivement; mais «nationaliste», c’est super-négatif. Les Catalans s’opposent à un Etat central, ce qui est plutôt vilain; mais l’Etat central rappelle les heures les plus sombres du franquisme, et cela doit nous interpeller.

Bref, c’est un casse-tête. Les commentateurs politiques retiennent leur souffle – et surtout leur crayon au-dessus de l’insidieuse question à choix multiple: gentils ou méchants? Craignant de faire un faux pas qui pourrait les envoyer au goulag intellectuel, ils se résignent à écrire des articles aussi neutres que possible, donnant la parole aux uns et aux autres, pointant du doigt les maladresses des deux parties, tout en évoquant le droit de chacun à faire entendre sa voix. Comment un journaliste peut-il faire son travail si on ne lui dit pas clairement qui sont les gentils et qui sont les méchants?

En désespoir de cause, la presse sait qu’elle doit se référer à la position de Vladimir Poutine, pour soutenir le camp adverse. Mais que pense Poutine de la Catalogne?

En refusant de lancer ses colonnes de blindés à l’assaut de Barcelone ou de Madrid, le maître du Kremlin démontre une fois de plus sa capacité de nuisance envers le monde occidental. Sans même avoir eu besoin de mobiliser ses légions de hackers, il a réussi à paralyser nos médias et à plonger notre opinion publique dans un abîme de perplexité.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2081, 13 octobre 2017)