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Onde rouge

La framboise est rouge, c'est irréfutable. Mais tout ce qui est rouge n'est pas framboise. C'est tout aussi irréfutable. On ne saurait donc trop comprendre la perplexité des Vaudois lorsqu'ils ont appris que Radio Framboise devait être rebaptisée «Rouge FM».

Le simple constat du changement est en soi un motif valable de mécontentement. Mais le forfait va ici plus loin. On abandonne un nom connu de longue date, original, de consonance fruitée et rafraîchissante, un nom que l'usage avait fait rimer avec «radio cantonale vaudoise», et on le remplace par une raison commerciale insignifiante et affligeante, ne conservant de la baie originelle que sa couleur, laquelle, ainsi dépouillée de tout goût et de toute forme, est désormais surtout évocatrice de cocos & Co, socialos et sciences-po. C'est peindre le Diable sur la muraille? Peut-être - ça reste dans la même teinte. Toujours est-il que la radio locale en question a décidé de réduire sa programmation musicale pour donner plus d'importance à l'information, espérant concurrencer dans ce domaine la Radio suisse romande... déjà plus rouge que rouge!

Accessoirement, on frémit à l'idée des honoraires qu'a dû toucher le consultant qui a proposé un nom aussi flamboyant, sachant ce qu'un logo de la même inspiration et de la même couleur avait coûté à notre ex-compagnie aérienne. Mais l'allusion à ladite compagnie et aux aléas financiers de la vie économique et politique suggère alors une autre explication, qui donnerait cette fois tout son sens à l'affaire qui nous occupe: le rouge n'est-il pas devenu, ces dernières années, la couleur emblématique de l'Etat de Vaud et de sa persistante indigence? Dans cette optique, le nouveau nom de la station FM servirait simplement à souligner de manière plus actuelle l'idée de «radio cantonale vaudoise».

Car c'est ainsi, hélas, qu'évolue notre image au carrefour de la modernité: autrefois, la référence à l'héraldique du Canton suggérait le vert; aujourd'hui, la situation de son trésor réclame le rouge.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 8 juillet 2005)