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Une provocation, oui, mais une provocation fédéraliste

«La Suisse n’existe pas.» C’est par ces mots que Mme Ada Marra, élue socialiste, a commencé ses vœux du 1er août publiés sur Facebook.

De nombreuses personnes, qui apprécient peu Mme Marra, y ont vu une provocation délibérée, destinée uniquement à faire parler d’elle. Cela nous paraît en effet plausible, et nous comprenons d’autant moins pourquoi ces mêmes personnes ont accepté de collaborer à cette opération de communication, en donnant au texte de Mme Marra un très large écho sur les réseaux sociaux et en le commentant abondamment un peu partout.

Mais bon, maintenant que le mal est fait et que tout le monde a entendu parler de cela, nous pouvons en parler nous aussi.

Qu’y avait-il de si terrible dans ces propos? Mme Marra affirme que la Suisse n’existe que par les gens qui y habitent. Ce n’est pas faux. C’est même tautologique: la plupart des pays n’existent en principe qu’à travers les gens qui y habitent. Bien entendu, lorsqu’une population forme une communauté relativement homogène, le pays existe de manière plus «substantielle». Au contraire, dans un pays où vivent énormément d’étrangers, dont certains s’intègrent peu et préfèrent conserver leur langue et leurs mœurs, l’existence du pays s’estompe. Peut-être est-ce cela que Mme Marra a voulu dire: la Suisse n’existe pas en tant que pays parce que la population y est trop peu homogène, trop bigarrée, trop multiculturelle. Nous ne saurions lui donner entièrement tort.

Mme Marra dit aussi que «ce qui existe, ce sont nos différentes lois». C’est normal: les socialistes, comme les Vaudois, aiment les lois. Ils font exister la Suisse en multipliant les lois fédérales sur les sujets les plus inutiles. Pourtant elle n’a pas écrit «nos innombrables lois fédérales», mais «nos différentes lois». Différentes? Mais oui: des lois différentes d’un canton à l’autre, la diversité du fédéralisme, voilà ce qui fait vraiment la Suisse! Affirmer que la Suisse n’existe pas, c’est envisager qu’elle n’existe qu’en tant qu’alliance de communautés cantonales différentes qui, elles, existent bel et bien. Nous ne saurions critiquer cette manière de voir les choses.

Enfin, Mme Marra termine son texte en écrivant: «Dieu que c’est beau de vivre dans un pays où on a le droit de penser de manière non-uniforme». Elle a tort sur la forme (elle aurait dû écrire «non uniforme» sans trait d’union), mais elle a raison sur le fond: dans un pays où toute la presse et tout le microcosme politique raisonne en termes de centralisation et de rationalité technocratique, qu’il est bon de pouvoir penser différemment en affirmant un point de vue fédéraliste!

Une politicienne socialiste qui invoque Dieu dans sa conclusion ne peut pas être entièrement mauvaise.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2077, 18 août 2017)