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Paris (II)

Nous avons constaté après un premier article combien certains Vaudois tenaient à ce que l'on parle de la capitale française avec respect, déférence et admiration. Nous ferons donc l'effort de présenter cette fois, hors de l'esprit moqueur de nos voisins et avec le caractère sérieux des gens d'ici, quelques aspects positifs recensés à l'occasion d'une nouvelle incursion en terre francilienne.

Sous la terre

Il faut tout d'abord redire que la Gare de Lyon est un lieu de rencontre privilégié pour les Suisses romands, même si cela doit décevoir ceux qui ne partent que pour se dépayser: la première personne que rencontrent deux anciens camarades d'études débarquant du TGV se trouve être… un autre ancien étudiant de l'Université de Lausanne, émigré à Paris et perdu de vue depuis des années. Accueil sympathique à défaut d'être exotique.

Nous plongeons ensuite dans la jungle. Le mot est des plus justes. Car les visiteurs qui s'intéressent aux transports publics et qui ont déjà admiré l'extraordinaire réseau du métro parisien, ne peuvent se priver de descendre voir la nouvelle ligne 14 «Meteor» — qui relie depuis quelques mois la Bibliothèque François-Mitterrand à la Madeleine. Et lorsque l'habituel dédale des petits couloirs de catelles fait place à des passages plus larges et plus hauts, à des matériaux plus modernes et à des formes plus épurées, l'air s'emplit d'une odeur chaude, humide, pesante, et c'est bien une jungle souterraine, avec des arbres hauts et fins aux formes étranges, qui s'offre à nos yeux dans une cathédrale remplie de lumière artificielle. A côté, comme de petits jouets enfermés sous des arcs de verre, passent les rames de métros. Pas de conducteur, tout est automatique. Les voyageurs curieux s'installent à l'avant pour voir défiler le long tunnel quasiment rectiligne, souligné par des myriades de petites ampoules disparaissant à l'horizon, d'où foncent à notre rencontre les lumières d'autres métros et de stations lointaines. En moins d'une dizaine de minutes, on traverse ainsi presque toute cette ville immense! Un avant-goût de ce que la capitale vaudoise veut s'offrir entre Ouchy et Epalinges?

Le sous-sol de Paris fourmille de trains. Après le métro, c'est le RER qui a ouvert une nouvelle ligne, baptisée «Eole», depuis la gare souterraine d'Auber en direction du réseau SNCF de la gare de l'Est. Là encore, des foules de voyageurs se pressent dans des galeries d'accès monumentales et interminables, creusées sous celles qui existaient déjà et auxquelles elles se rattachent avec une simplicité trompeuse. Là encore, l'architecture a été travaillée et soignée, et chacune des gares nous plonge dans l'atmosphère de quelque bande dessinée fantastique. Mieux encore: dans un de ces trains qui traversent le centre de la ville pour foncer ensuite vers quelques banlieues mal famées, le conducteur a la gentillesse d'ouvrir sa porte à deux touristes pour les emmener jusqu'à la prochaine station dans la cabine de pilotage.

Dans le ciel

Outre le bouillonnement génial des profondeurs de la terre, admettons que Paris offre aussi quelques jolies occasions de lever le nez. La Tour Eiffel, bien sûr, que beaucoup d'indigènes trouvent laide, mais qui ne cesse jamais d'impressionner les visiteurs par sa masse et sa hauteur. Sur son flanc, le grand panneau lumineux continue d'égrener vainement les jours restant avant l'an 2000, comme si cette grande fusée allait alors se mettre à décoller. Avec ou sans Tour Eiffel, le plus beau spectacle ce soir-là était le ciel, éclairé par une grosse lune blanche jouant à cache-cache au milieu d'une kyrielle de petits nuages réguliers, et qui répandait sa clarté mystérieuse sur les rives de la Seine et l'esplanade du Palais de Chaillot, où des essaims de touristes flânent jusque tard dans la nuit.

Pas question, bien sûr, de faire monter quelqu'un qui est sujet au vertige sur ce tas de ferraille ouvert de tous les côtés, et où l'on n'est jamais séparé du vide que par quelques millimètres de tôle… Avec un peu d'insistance, on peut par contre se laisser entraîner au sommet de la Tour Montparnasse: dans l'ascenseur bien fermé, seul un écran à cristaux liquides nous indique combien de mètres s'ouvrent sous nos pieds. Au 56e étage, derrière des baies vitrées légèrement teintées, on découvre effectivement une vue extraordinaire tous azimuts, plongeant sur les milliers de toits de Paris, puis s'éloignant à l’horizon jusqu'aux confins de l’Ile-de-France. Au nord-ouest, la Tour Eiffel semble toute proche, et son sommet paraît être à la même hauteur que nous; apparence trompeuse puisqu'elle culmine à 320 mètres tandis que nous ne sommes qu'a 196 mètres du sol (la dénivellation du terrain entre les deux édifices joue peut-être un rôle). Un silence étonnant règne à cette altitude. Une intéressante galerie de photos et de plans sur la construction de la tour et sur l'organisation du sous-sol parisien achève finalement de justifier l'ascension de cette immense colonne noire, visible de loin dans toute la ville et dominant le quartier latin tout proche.

Les autres constructions plus modernes ne parviennent pas à marquer aussi fortement le ciel de la capitale. Lorsqu'on regarde la ville depuis le Sacré-Cœur, par exemple, on distingue mal, malgré leur hauteur, les quatre «angles» formant la Bibliothèque François-Mitterrand. A l'ouest, l'imposante Arche de la Défense ne se voit de loin que si l'on se trouve dans l'alignement du Champ de Mars. Les nombreuses tours commerciales serrées sur ce même quartier de la Défense apparaissent comme la masse confuse d'une ville futuriste, et c'est seulement de près que l'on perçoit la personnalité et l'originalité de chacune.

A même le sol

Comme beaucoup d'autres grandes villes, Paris offre aussi l'occasion de marcher, de beaucoup marcher, de marcher pendant des heures ou des journées entières. C'est le meilleur moyen pour en saisir les proportions, pour en comprendre la topographie, pour en retenir le plan et l'agencement des différents quartiers. Si l'on parvient à s'affranchir de la misère omniprésente, on peut se laisser envahir par la torpeur du soir et la magie des innombrables lumières. Ou emporter par les foules de touristes qui déambulent au pas de charge en plein midi. Lorsqu'on revient pour la troisième fois à Paris, on ressent il est vrai un peu moins l'atmosphère sordide et inquiétante de certains endroits. L'habitude aide à mieux se repérer, estompant les sensations particulières que l'on ressent face à un lieu inconnu. On choisit aussi plus facilement des rues souriantes.

Le parcours qui mérite d'être cité à cet égard est la promenade arborisée aménagée sur un ancien viaduc de chemin de fer le long de l'avenue Daumesnil, depuis l'opéra de la Bastille jusqu'à l'ancienne gare désaffectée de Reuilly. Là où passait autrefois la ligne de la Bastille, on voit aujourd'hui des «joggeurs», des familles, des mamans avec des poussettes, venir se ressourcer au milieu de haies de buis et de massifs floraux, sorte de jardin suspendu en surplomb de l'agitation de la ville. A mesure que l'on s'éloigne du centre, les vieilles maisons délabrées font place à des immeubles résidentiels, certains intégrant même avec beaucoup d'originalité le passage de cette allée piétonne.

Par comparaison, les quais de la Seine seraient presque décevants s'ils n'étaient si typiques de Paris. Leur aménagement irrégulier n'a pas fait l'objet de la même attention de la part des urbanistes, et le fleuve apparaît d'abord comme une voie de communication inter-régionale, chargée de péniches de toutes sortes. Si la Seine continue d'attirer irrésistiblement tous les étrangers qui se rendent à Paris, elle le doit surtout à la popularité jamais démentie des bateaux-mouches toujours bondés, et peut-être aux raccourcis surprenants qu'elle offre parfois sur la capitale, tel cet alignement des tours Eiffel et Montparnasse et de celles de la cathédrale Notre-Dame, visible lorsqu'on est près du Pont d'Austerlitz.

Raccourci également que ces quelques notes de voyage pour décrire trois jours à Paris. Au moins rétabliront-elles l'équilibre entre les défauts et les qualités de la métropole française, entre l'aversion des ronchons invétérés et la vénération des admirateurs béats, chacun conservant heureusement la liberté de percevoir de manière purement subjective cette ville étonnante.

(La Nation n° 1618, 31 décembre 1999)

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