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Les commissions ont trop de temps libre

En vertu de ses propriétés intrinsèques, toute commission plongée dans l'étude d'un dossier inutile finit tôt ou tard par produire un volumineux rapport réclamant des mesures urgentes et justifiant ainsi l'existence de ladite commission. Ce principe élémentaire de l'organisation administrative ne cesse de se prouver.

En 1978 par exemple, la Confédération a nommé une «Commission fédérale pour l'enfance et la jeunesse» (CFEJ), dont le mandat était «d'observer et d'analyser l'évolution de la situation des jeunes dans la société». On aurait aussi pu dire: «la progression des nuages au dessus d'une prairie ensoleillée», ou: «le mouvement circulaire de deux pouces sur le rebord d'une table». L'observation et l'analyse n'étaient évidemment pas des objectifs suffisants: la commission en question a aussi été chargée «de formuler des propositions développant les aspirations de la jeune génération». D'où la publication régulière, depuis 1980, de rapports quasi annuels aux noms ennuyeux et consacrés à des thèmes à la mode.

Entre deux retombées dans l'oubli, la parution de ces rapports parvient encore à faire sursauter un sourcil chez deux ou trois journalistes. C'est ainsi que l'on a appris la semaine passée, entre Gaza, Bagdad et la Nouvelle-Orléans, que les petits Helvètes auraient besoin de plus de temps libre, et d'espaces de jeux plus grands. Le résultat ne surprend pas car nous aurions tous répondu la même chose à cet âge-là. La revendication de trois heures hebdomadaires de gymnastique obligatoire dans les écoles laisse en revanche songeur sur l'honnêteté de l'enquête – à moins qu'on n'ait interrogé que des maîtres de sport*.

Réclamer des heures de décérébration mentale au détriment de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, vouloir former des enfants à taper sur un ballon sans pouvoir comprendre ce qui est écrit dessus: on reconnaît bien là le travail ordinairement nuisible d'une commission fédérale. En revanche, réclamer plus de temps libre pour nos chères têtes blon... euh, de toutes les couleurs, ne serait-ce pas, en quelque sorte, flatter les instincts primaires de l'électeur de demain? Ne serait-ce pas, horresco referens, du populisme de bas étage et de bas âge? On vous le dit, braves gens: cette fois, c'est sûrement encore un coup de Blocher! Ou alors du Père Noël – un populiste lui aussi – qui a peut-être vu dans la Commission fédérale pour l'enfance et la jeunesse un relais opportun pour recenser et regrouper les demandes de nouveaux jouets durant les mois qui précèdent la fin de l'année.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 16 septembre 2005)


* On épargnera au lecteur les inévitables souvenirs personnels sur les périodes de gym plus ou moins courbées ou sur les disputes philosophiques soutenues face à un prof de natation...