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Ça se trompe énormément

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Les journalistes du Temps, lorsqu’ils ne se livrent pas à leur passe-temps favori – à savoir la chasse à Freysinger – s’imaginent capables de nous prédire le monde de demain. Dans l’édition du 1er décembre, par exemple, ils nous annoncent fièrement «La révolution des avocats 2.0». (Mais pourquoi «deux point zéro»? Quelle était la «un point zéro»? Se pourrait-il que tous ces brillants chroniqueurs, qui se vantent explicitement d’«évoluer dans le monde de l’élite», utilisent des formules à la mode mais dépourvues de sens?) Les auteurs de l’article, donc, nous expliquent non seulement qu’on peut désormais réserver son avocat sur internet comme un vulgaire chauffeur «Uber», mais encore que les hommes (et femmes) de loi sont sur le point d’être remplacés par des ordinateurs, par des machines, par des robots et par des sites internet «ultra-spécialisés» grâce auxquels «les mentalités changent peu à peu». Le ton se veut résolument moderne – genre Nouveau Quotidien d’il y a vingt-cinq ans – avec un poil de condescendance (un peu moins toutefois que dans l’édition de lundi passé où un éditorialiste donnait aux Jurassiens, avec une rare arrogance, des conseils pour développer leur canton et abandonner leurs «mentalités encore très rurales»).

Nous n’allons pas prendre ici la défense des avocats – pas plus que celle des éléphants. En revanche, nous nous ébahissons de voir les journalistes persister à vouloir nous décrire l’avenir, eux qui, à court terme déjà, passent leur vie à se tromper – comme les éléphants – avec une prévisibilité plus que scientifique. Durant ces derniers mois, ils n’ont pas arrêté de se planter: d’abord avec le Brexit, puis avec l’élection du nouveau président des Etats-Unis, puis encore avec celle du futur président de la France. Même lorsqu’ils ont cru pressentir la victoire de «l’extrême-droite» en Autriche (ç’aurait été une belle occasion de faire du foin, et donc du blé), eh bien ils se sont plantés. Ils se sont tellement plantés qu’on frémit à l’idée de tout ce qui pourrait pousser si l’on se mettait à arroser.

Avant le métier d’avocat, c’est donc celui de journaliste qui pourrait être automatisé à court terme, puisqu’il se résume à quelques algorithmes assez simples – comme l’avait excellemment démontré, il y a une vingtaine d’années déjà, la fameuse LogoMachine, «application informatique destinée à fournir en permanence des billets et chroniques de Jacques Pilet» (encore accessible sur le site www.distinction.ch). Des algorithmes simples destinés à produire des résultats invariablement faux, ça devrait être à la portée de quelques jeunes informaticiens bardés de diplômes et bourrés de talent, qui auront tôt fait de propulser notre pays dans la modernité 2.0 en reléguant les élites médiatiques au cimetière des éléphants (zéro point zéro).

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2059, 9 décembre 2016)