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Des chiens, des oiseaux et des ânes

Il faut une nouvelle loi fédérale interdisant certaines races sur le territoire suisse. Cette proposition, dont d'aucuns pourraient penser qu'elle contrevient à la morale politiquement correcte (on a même vu un quotidien vaudois réclamer explicitement une «liste noire»), est devenue la principale rengaine de tous les médias de la contrée depuis que trois chiens pitbulls appartenant à des Italiens ont agressé et tué un enfant turc dans le canton de Zurich.

Conformément à son éthique bien connue, la meute des journalistes s'est précipitée sur l'événement pour l'exploiter au maximum, déchaînant émotion et indignation dans les chaumières. Indignation non pas contre les individus responsables de cette agression, car le paradis que nous promettent nos zorros de la plume et du micro ne connaît pas la responsabilité individuelle: seule compte l'action de l'Etat chargé, à coups d'interdictions, de limitations, de législations et de rééducations, de produire un monde enfin sans danger d'où seront éradiquées la possibilité et la volonté de faire le mal. Indignation contre la Suisse, donc, coupable d'avoir laissé des parcelles de liberté aux cantons et aux individus. Face aux chiens méchants, comme face aux volatiles grippés, il faut légiférer et harmoniser. Non parce que cela résout le problème, mais parce que cela permet aux journalistes et aux politiciens d'apparaître comme des gens dynamiques, sensibles à l'émotion populaire (qu'ils entretiennent à cet effet) et tellement disposés à agir qu'ils sont prêts à faire n'importe quelle ânerie plutôt que de ne rien faire.

Qui sait? Les enfants auront peut-être beaucoup moins peur des molosses, et ces derniers beaucoup plus peur des fonctionnaires, lorsqu'une loi fédérale, européenne ou mondiale établira la taxation des crocs canins et réaffirmera le droit imprescriptible à l'intégrité de la dignité du fondement des facteurs et des êtres humains.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 9 décembre 2005)