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Après la radio-télévision d’Etat, la presse d’Etat?

Les reportages sur l’Arctique parus cet été dans le quotidien 24 heures ont fait grimacer quelques journalistes, car ces articles ont été réalisés grâce à des partenariats avec l’Etablissement cantonale d’assurance-incendie, les Retraites Populaires, le Centre Patronal et – encore plus sulfureux – le Consulat général honoraire de Russie à Lausanne.

On retiendra en particulier l’article de M. Dominique von Burg paru dans Domaine Public et daté du 6 septembre dernier1, où l’auteur expose sa crainte que de tels partenariats ne permettent plus à 24 heures de conserver «toute sa liberté critique face à ses partenaires». Constatant que des pratiques similaires se retrouvent désormais dans plusieurs titres de la presse romande, le journaliste se demande: «Les rédacteurs en chef n’ont-ils pas raison de chercher de nouvelles sources de financement pour offrir à leurs lecteurs une qualité rédactionnelle qu’ils ne peuvent plus se payer?» Mais la question n’est que rhétorique, et l’auteur enchaîne: «En se liant à des partenaires, le journalisme met en jeu le cœur de son ADN: l’indépendance. […] Le jour où le public aura acquis la conviction que les journalistes informent eux aussi "à la demande", en défendant des intérêts particuliers, il s’en détournera.»

M. von Burg n’évoque pas la possibilité qu’une partie non négligeable des lecteurs – et peut-être des annonceurs – se soit déjà détournée de la grande presse dans la mesure où celle-ci apparaît politiquement orientée et tendancieuse, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec des partenariats commerciaux.

L’important est la conclusion à laquelle M. von Burg aboutit – ou plutôt à laquelle il avait prévu d’aboutir: «N’est-il pas temps de briser un tabou, en envisageant une aide directe à la presse?» (Par opposition à l’aide indirecte versée actuellement sous forme d’une subvention au tarif postal.)

Quelques jours plus tard, on apprend qu’un nouveau groupe parlementaire, constitué sous le nom de «Journalisme et démocratie», pose publiquement la question d’une aide directe de l’Etat. On aurait presque pu croire qu’il s’agissait d’une opération concertée…

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Le débat sur une aide directe à la presse n’est pas nouveau; la question revient régulièrement sur le tapis. Jusqu’ici, la grande majorité des journalistes s’y sont toujours opposés, considérant qu’un financement étatique marquerait la fin de leur indépendance éditoriale. Le vent aurait -il tourné? Il est vrai que ceux qui œuvrent à la radio-télévision d’Etat ne semblent pas s’en porter plus mal: leur situation extrêmement confortable fait-elle envie à leurs confrères de la presse écrite?

Toujours est-il que, pour Dominique von Burg, le dilemme de l’indépendance éditoriale se résout en deux coups de cuillère à pot: «Un financement public pourrait être réglementé en toute transparence, contrairement à la prise d’influence rampante exercée actuellement par des "communicants" de tout poil, au nom d’intérêts particuliers.» En clair: les entreprises, c’est mal; l’Etat, c’est bien; et si nous devons passer par une subvention, nous préférons un schéma socialiste plutôt qu’un modèle libéral. En caricaturant à peine, on pourrait dire qu’au moment où une initiative populaire réclame la fin de la redevance Billag, une curieuse alliance de journalistes et de politiciens revendique au contraire son extension à la presse écrite, ainsi que le glissement de cette dernière vers une forme de presse d’Etat.

Dans ce débat, on ne semble guère s’intéresser aux raisons qui permettent à certains titres modestes mais ciblés, véritablement informatifs et originaux, de tirer leur épingle du jeu. Personne ne se demande si des journaux plus intéressants ne seraient pas à même de retrouver davantage de lecteurs, voire d’annonceurs. Non, il est décidément plus simple de lorgner avec avidité vers les caisses publiques.

(La Nation n° 2054, 30 septembre 2016)

1 «Partenariats "new look" dans les journaux», 6 septembre 2016, www.domainepublic.ch/articles/29805

 

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