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Ambiance de salon

Nous sommes donc allés tenir le stand des Cahiers de la Renaissance vaudoise au Salon du livre et de la presse à Genève. Ce Salon, on a beau l’avoir déjà visité, lorsqu’on tient un stand, ce n’est pas pareil: nous appartenons au cercle des exposants! Dès notre arrivée, un petit papier jaune nous ouvre les portes d’un parking réservé. Puis nous pénétrons dans les halles, arborant fièrement nos badges blancs et roses.

Nous prenons possession de notre stand. Pas bien grand: cinq ou six mètres carrés, une table, trois chaises, des étagères. C’est suffisant pour étaler consciencieusement de nombreux exemplaires des deux dernières Nation et des quatre derniers Cahiers. Arrangements subtils et sans cesse retouchés pour mieux attirer l’attention des visiteurs.

Justement, les voici enfin, ces visiteurs. La Nation au poing, nous prenons position dans le couloir. Nous avions des consignes précises: «Soyez agressifs, distribuez à tout le monde, vendez beaucoup!» Pas si facile. Une première catégorie de visiteurs est inabordable: ce sont les visiteurs-boulets: ils savent où ils vont mais ne se soucient pas de ce qui se trouve sur leur trajet, qu’ils empruntent à une vitesse athlétique qu’il vaut mieux ne pas troubler. Ensuite, certaines tenues négligées, certaines coupes de cheveux (ou plutôt absence de coupe) nous découragent d’emblée; inutile de leur proposer La Nation, à supposer qu’ils comprennent le français. D’autres, l’œil creux et le regard inexpressif, acceptent ce que nous leur tendons comme ils acceptent tout ce que le Salon leur offre de gratuit, et ils l’enfournent dans leurs sacs déjà pleins: une partie de la semence tombe au milieu des épines…

Quelques réactions négatives, regards détournés ou airs goguenards: des gens qui ont entendu parler de nous, sans doute, et croient savoir qui nous sommes! Parfois des amis s’arrêtent, nous serrent la main; ils sont déjà abonnés, ils ont déjà payé le dernier Cahier, nous n’avons rien qu’ils ne possèdent déjà. Non rentables, mais tellement sympathiques!

Enfin, peu nombreux mais moralement très gratifiants, des visiteurs écoutent nos explications, se penchent sur nos titres, voire sur nos sous-titres, et découvrent avec enthousiasme que notre mouvement répond à une attente de leur part. Un homme de goût interrompt nos commentaires, feuillette en silence nos Cahiers, puis nous en achète sept. Un Lyonnais, vaudois d’origine, voit dans La Nation un trait d’union bienvenu. Une habitante de la rive sud du lac, écœurée par le conformisme de la presse, est enchantée de ce que nous lui proposons et bavarde un moment. Ces gens-là valent le déplacement. Sur place, les visiteurs achètent peu; mais nous avons établi de ces liens personnels qui valent plus que des liens idéologiques. Et parmi toutes ces Nation distribuées, beaucoup vont porter de bons fruits.

Nous n’avons pas quitté le Salon sans faire le tour des autres exposants. Difficile de s’intéresser à quelque chose: il y en a tellement. Heureusement que les autres ne nous «accrochent» pas comme nous l’avons fait à notre stand le reste de la journée! D’un côté, les panneaux démesurés des grands journaux à la recherche de lecteurs: des stands spacieux mais presque vides. De l’autre, le «Village alternatif» qui propose de découvrir l’ethnomusicologie, d’adhérer à quelques sectes orientales, de s’élancer vers l’Europe et de supprimer la taxe militaire puis l’armée elle-même: tout un petit monde qui grouille et qui rêve. Le plus vexant, c’est de compter le nombre des badges d’exposants: la moitié des gens que nous croisons en portent! Eh oui, ce Salon attire plus que d’autres les exposants, et moins que d’autres les visiteurs.

(La Nation n° 1472, 28 mai 1994)

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