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L’Europe comme enjeu de lutte

Suis-je ou ne suis-je pas… eurocompatible? C’est la question que nous devons désormais nous poser avant toute décision, futile ou importante, car l’Europe, celle de Bruxelles, est devenue la norme de toute chose. Il en fut ainsi lors de la votation sur l’«initiative des Alpes»: alors que ses détracteurs la vilipendaient au nom de l’Europe, ses partisans démontraient au contraire que l’Europe en profiterait. L’argument a-t-il aidé l’initiative à passer ou lui a-t-il enlevé quelques voix? Toujours est-il qu’après ce deuxième dimanche noir du Conseil fédéral, les réactions furent de deux ordres. Tandis que les uns pleuraient à chaudes larmes sur un bateau qui dérivait et s’éloignait toujours plus de la Terre promise, quelques autres osaient timidement afficher leur satisfaction. Avec beaucoup de prudence, Walter Froehlich, dans La Suisse du 28 février, se demandait «si, finalement, les Suisses allemands n’avaient pas eu raison de voter pour l’initiative des Alpes». Accablant de reproches une Union européenne qui se fiche allègrement des conditions de vue dans certaines régions, il n’en concluait cependant pas à la nécessité de ne pas adhérer: «Les opinions peuvent changer, même à Bruxelles.» Le même jour mais dans le Journal de Genève et Gazette de Lausanne, le prince Sadruddin Aga Khan affirmait un point de vue identique: la volonté de défendre les Alpes «est à l’honneur des Suisses», qui «ne sont pas en retard d’un wagon» mais «montrent le chemin à l’Europe». L’auteur, qui se réfère notamment à Denis de Rougemont, donne par ailleurs quelques considérations bien senties sur la manière dont on traite la démocratie directe, ainsi que sur la sagesse, qui est «rarement l’apanage du plus grand nombre»: «Les Suisses, que je sache, ne sont pas plus sots que MM. Delamuraz et Ogi […].» Certes.

Tout cela confirme que tout le monde (ou presque) est d’accord sur le principe d’une Europe unifiée, mais que chacun l’imagine différemment de son voisin. Voilà qui promet encore de belles empoignades. Tant mieux peut-être…

(La Nation n° 1467, 19 mars 1994)

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