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Les médias dans l’ère du soupçon

Contrôle des médias: de l’intérieur et/ou de l’extérieur? Tel fut le thème d’un séminaire international organisé à Fribourg les 15 et 16 octobre 1992. Parmi les contributions présentées dans le rapport final, on peut remarquer celle d’Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique. «Les médias sont entrés dans ce que j’appelle l’ère du soupçon. Les citoyens s’en méfient et s’interrogent sur l’aptitude des médias à opérer une distinction entre le vrai et le faux. Les dérapages durant la «révolution roumaine» et ceux de la Guerre du Golfe ont échaudé les gens […]. Devant cette situation, que faire?»

Tout d’abord, il conseille aux journalistes de prendre du recul par rapport à leur travail et d’observer le fonctionnement du «système informationnel». Les citoyens se méfient de plus en plus des médias. Plus grave: les journalistes eux-mêmes semblent avoir souvent conscience de mal faire leur travail, de mal accomplir leur mission. Mais quelle mission? Au cours des vingt dernières années, «le devoir du quatrième pouvoir était de corriger les excès et les dérapages des trois autres (législatif, exécutif et judiciaire). Or chacun constate qu’il ne le fait pas ou le fait mal; et il apparaît de plus en plus aux yeux des citoyens comme le complice des trois autres pouvoirs au point d’en être rejeté, confondu avec les autres dans une unique entité: le «pouvoir politico-médiatique».

L’auteur met aussi en accusation les progrès de la technique, mal maîtrisés, mal compris, si bien que les journalistes ne cherchent plus à expliquer mais uniquement à montrer les événements. Le public n’a plus besoin de comprendre, il suffit qu’il puisse assister à l’actualité comme un simple spectateur. Le journaliste, lui, n’a plus besoin d’être un journaliste mais seulement un témoin. La télévision prend alors la tête de l’information, tandis que la presse écrite se borne à lui faire écho.

Le directeur du Monde diplomatique s’en prend vertement à ce système qui déforme la réalité. Même si ces critiques s’adressent aux autres (il est bien connu que seuls les autres journalistes se trompent et se laissent avoir comme à Timisoara), elles n’en sont pas moins pertinemment formulées.

(La Nation n° 1466, 5 mars 1994)

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