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Démocratie à géométrie variable

Après le vote du 6 décembre dernier, les fronts plissés des politologues se sont penchés sur la crise du système politique suisse, crise grave révélée par le refus du miracle européen. «C’est normal, disaient-ils, la population n’a pas une formation politique assez poussée, les gens ne comprennent pas les enjeux qui sont soumis à leur approbation, et les choix restent trop passionnels! Pour faire fonctionner efficacement la machine politique d’un pays aussi complexe, il faudrait limiter la capacité de décision à un nombre restreint de personnes compétentes. La démocratie représentative? Pourquoi pas! C’est toujours de la démocratie puisque les parlementaires sont élus par le peuple, mais on n’a affaire qu’à des spécialistes des questions politiques, peu nombreux et donc plus aptes à aboutir à un consensus.»

C’est donc ça. La démocratie directe, frein au progrès de l’humanité, a empêché les Suisses de monter dans le train de l’histoire…

Trois mois plus tard, l’histoire compatissante nous a dépêché un autre train baptisé Christiane Brunner. Las! Le 3 mars, La candidate des femmes, des jeunes, du progrès et du soleil radieux a été éconduite par de vieux messieurs gris et ternes. Aussitôt, bourdonnant comme des abeilles dans leurs ruches, les politologues pas encore remis de leurs émotions se sont remis au travail. Il faut comprendre, expliquer les causes de la catastrophe, retrouver la boîte noire! «C’est manifeste: le système politique suisse traverse une crise grave. Les parlementaires sont-ils encore représentatifs des citoyens qui les ont élus? Quelle est la légitimité de leur action? Il est certain que si le peuple avait pu voter, les résultats auraient été différents.»

C’est donc ça. La démocratie représentative, manipulée par des politiciens coupés du pays réel, brime les aspirations légitimes du peuple suisse…

L’ennui avec le peuple, c’est qu’il est toujours là quand il ne faut pas et jamais quand il faut.

(La Nation n° 1441, 20 mars 1993 – un précurseur du «Coin du Ronchon»…)

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