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Une mauvaise loi contre le racisme

Au mois de décembre, le Conseil national a adopté à une large majorité le nouvel article 261bis du Code pénal sur la discrimination raciale, dont la presse a diffusé le texte. Hélas, le bon sens et la réflexion recommandent de troubler l’euphorie générale et de dire que, malgré ses apparences, cette loi est critiquable tant sur la forme que sur le fond, et que nous n’avons rien à gagner à son application.

La critique s’adresse d’abord à la longueur de sa formulation (quelque 200 mots) et à la diversité et l’ambiguïté des fautes recensées, qui trahissent la perplexité des législateurs face à cette nouvelle forme de répression. En effet, nous avons affaire à un texte qui amalgame l’incitation à la haine, la propagation d’idéologies, l’organisation ou l’encouragement d’actions de propagande, l’atteinte à la dignité humaine, le fait de minimiser les génocides et les crimes contre l’humanité et le refus d’accès à des lieux et services publics. Les termes employés laissent une large place à l’interprétation du juge: comment définir l’«incitation à la discrimination»? Jusqu’où ira-t-on chercher des «idéologies visant à abaisser […] les membres d’une race, d’une religion ou d’une ethnie»? Quelles conditions devra-t-on remplir pour ne pas «porter atteinte à la dignité humaine […] d’un groupe de personnes»? Pourra-t-on condamner désormais toute critique répétée à l’encontre d’une religion? Faudra-t-il supprimer les visas d’entrée en Suisse qui ne s’appliquent qu’à certaines personnes en raison de leur appartenance ethnique? Les injures proférées au soir du 6 décembre dernier à l’encontre des Suisses alémaniques tomberont-elles sous le coup de la loi? Non, si confiants que nous puissions être dans la compétence et l’intelligence de nos magistrats, nous ne pouvons leur mettre entre les mains un texte aussi flou. De telles lois existent déjà dans des pays voisins, où elles permettent par exemple d’emprisonner des éditeurs ou de couler financièrement des journaux non conformistes, sans pour autant faire cesser les conflits ouverts ou larvés entre communautés ethniques.

C’est là le deuxième aspect de la critique, sur le fond: le nouvel article ne servira pas les fins voulues par ses instigateurs. Alors que nos lois répriment généralement des actes, on veut en créer une qui punisse cette fois des idées. Erreur grossière de stratégie: on ne peut lutter contre des idées que par d’autres idées. Un séjour derrière les barreaux peut-il faire regretter à quelqu’un d’avoir pensé d’une certaine manière? Non, tout au plus cette personne regrettera-t-elle de s’être exprimée sur tel sujet devenu tabou. On en arrivera alors à lutter non contre le racisme mais contre l’expression du racisme (ou plus exactement des sentiments que l’on range sous cette étiquette), ce qui revient à obturer hermétiquement la soupape d’une marmite à vapeur. En d’autres termes, cette loi risque d’exacerber des passions qui n’en ont nul besoin. Une fois de plus, on essaie d’étouffer les problèmes au lieu de les résoudre. Une meilleure maîtrise de l’immigration et une plus grande sévérité à l’égard de ceux qui abusent de notre hospitalité et de nos largesses sociales auraient des effets bien plus bénéfiques que cette nouvelle forme de chasse aux sorcières. Et ce bénéfice serait d’ailleurs partagé entre autochtones et étrangers qui, ni les uns ni les autres, ne trouvent leur bonheur dans une situation cahotique.

Il est aussi nécessaire de mentionner l’incongruité du paragraphe sur ceux qui «minimisent grossièrement ou cherchent à disculper le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité», qui vise, on s’en doute, le révisionnisme. Si des explications contradictoires existent sur le déroulement de la deuxième guerre mondiale, c’est en confrontant leurs preuves respectives qu’on pourra les départager. Ce n’est pas à une loi d’établir la vérité dans un domaine qui concerne les historiens et non les juges.

Pour ces raisons, il est à souhaiter que ce nouvel article 261bis du Code pénal n’entre pas en vigueur. Il veut sûrement le bien de tous mais ne fera assurément celui de personne.

(La Nation n° 1437, 23 janvier 1993)

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