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Eloge de la douleur

Solidarité avec le maharadjah de Gopal

La grande mode de ce printemps, c’est la douleur. Plus précisément celle qui nous saisit brusquement lorsque nous nous retournons ou nous penchons. Je ne parle pas des torticolis et des maux de dos, mais de notre passé.

On sait depuis longtemps que le passé est toujours sombre. On découvre maintenant qu’il est aussi douloureux. Et occulté bien sûr. Et pas bon marché de surcroît, comme de tout aujourd’hui. La seule qualité de ce fichu passé est de stimuler à toute vitesse le cortex cervical de sept écervelés qui, après avoir sombré pendant des années dans des dettes monstrueuses, sortent d’un seul coup sept milliards et quelques lapins de leurs chapeaux pointus. Et des économies supplémentaires puisqu’il n’y aura bientôt plus besoin de surveiller les coffres vides de la Banque nationale (j’y songeais en passant devant l’autre jour).

Mais les regards sur notre passé sont surtout douloureux, et c’est ça qui compte. Cette douleur doit nous faire du bien, nous libérer. Schmerz macht frei. Les chocs, c’est chic. Même certains de ceux qui souffrent semblent dire: ah ça fait du bien! Allez, encore une! Car cette «douloureuse-découverte-de-notre-passé» va nous soulager du fardeau d’être différents des autres, sensation pénible s’il en est. Elle va nous délivrer du complexe de n’avoir pas connu la guerre, alors que cela aurait été un si beau geste de solidarité à l’égard de nos voisins. Notre douleur nous réconfortera parce qu’elle sera le gage de notre solidarité.

Hergé l’avait bien compris: le maharadjah de Gopal, chaque fois qu’il faisait une chute à ski, exigeait de son ministre Badalah qu’il en fît autant.

(Le Coin du Ronchon, La Nation, 28 mars 1997)