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Eugénisme médiatique

Grandir ou mourir: un beau défi

Dans sa dernière chronique, l’excellent journaliste français François Brigneau a choisi de parler de la Poste. Moi aussi, et nous ne nous sommes pourtant pas concertés.

Brigneau parle de la Poste de son enfance («on disait les PTT») où «il y avait trois distributions de courrier par jour, deux le matin, une l’après-midi. […] Le train mettait douze heures depuis Paris et il fallait changer. Il n’y avait pas d’avion. Mais les journaux auxquels mon père était abonné parvenaient toujours à la date prévue». C’est des journaux, justement, que je voulais parler. Ici, chez nous, pas de grande réforme de la Poste comme en France. Les changements, c’est-à-dire les augmentations, arrivent par petites tranches successives: le client avale plus facilement. Sauf exception…

La Poste a décidé que les journaux qui comptent moins de mille abonnés ne sont plus des journaux, qu’ils n’ont dès lors plus droit au tarif des journaux (qui vient pourtant d’être augmenté) et qu’ils doivent donc payer le tarif du courrier normal (qui vient également d’être augmenté). Les frais de port sont ainsi multipliés par cinq ou six: 500% d’augmentation en une fois, c’est un joli coup, surtout si on l’annonce deux semaines à l’avance.

Les réductions accordées au tarif des journaux étaient, pour une part, un cadeau de la Confédération en faveur de la liberté d’opinion, pour l’autre part, une compensation du travail assumé par l’éditeur: les journaux étaient livrés à la Poste triés et groupés par zones de distribution. Désormais, le tri des envois et la liberté d’opinion sont des valeurs d’un autre âge: les trieuses automatiques avalent n’importe quoi et les lecteurs n’ont qu’à faire de même.

A l’eugénisme racial a succédé l’eugénisme médiatique: à mort les petits et les faibles. Le Pamphlet, POP-Informations, Bulletin du Club alpin: tous relégués aux poubelles de l’histoire. Et ceux qui veulent en réchapper ont intérêt à se grouiller de trouver de nouveaux abonnés, à multiplier ceux qu’ils ont déjà, à magouiller n’importe quoi pour atteindre une taille critique qui le soit un peu moins pour eux: c’est un beau défi, comme l’époque les aime.

(Le Coin du Ronchon, La Nation, 1er mars 1996)