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Cygne noir, un signe clair

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On a beau passer ses vacances loin du Pays, un rapide coup d’œil quotidien sur l’actualité essentielle du monde ne permet pas d’ignorer les événements bouleversants qui ont déchiré le Canton au cours de ce début d’été. Nous voulons parler ici, bien sûr, de «l’affaire Nelson», du nom de ce cygne noir australien capturé sur les bords du lac Léman, puis relâché très médiatiquement, un mois plus tard, par Mme la conseillère d'Etat Jacqueline de Quattro.

Il semble donc que la population se soit divisée en deux clans. Celui des amis des bêtes de toutes les couleurs, tout d’abord, qui se sont pris d’une affection frénétique pour Nelson et ont acclamé sa libération. Le clan des amis des bêtes bien de chez nous, ensuite, qui s’est inquiété de voir un animal «exotique» relâché dans un environnement qui n’est pas le sien, avec tous les effets collatéraux négatifs que cela peut engendrer pour la faune indigène.

Sur ce, l’Administration fédérale s’en est aussi mêlée, en dénonçant un «acte illégal» de Mme De Quattro. L'Office fédéral de l'environnement a rappelé qu’«en vertu de l'art. 8 bis [de l'ordonnance fédérale sur la chasse et la protection des oiseaux et mammifères sauvages], le cygne noir n'est pas une espèce indigène et ne doit pas être relâché». En clair – si l’on ose dire – la législation fédérale considère que la couleur d’un drôle d’oiseau constitue un motif suffisant pour le maintenir en détention, y compris dans un zoo.

Nous laisserons à d’autres le plaisir de plaisanter sur les analogies possibles – ou non – entre les cygnes et les moutons. Pour notre part, nous retiendrons deux réflexions très sérieuses. La première est que l’intervention d’un office fédéral pour apprécier la légalité de la présence d’un piaf bizarre sur les rives du Léman démontre une fois de plus la nécessité urgente d’abolir l’impôt fédéral direct, afin d’obliger la Confédération à se concentrer sur des questions sérieuses. La seconde réflexion est que, pour notre part, nous ne pratiquons aucune discrimination basée sur la race, la couleur, l’orientation ou la religion: nous aimons autant les bêtes de toutes les couleurs que celles bien de chez nous… à condition qu’elles finissent dans nos assiettes. C’est en effet le seul endroit où – à condition qu’il soit bien rôti, mais pas trop – la couleur de Nelson ne devrait plus poser problème.

P. S. Si vraiment ce cygne vient d’Australie, la question se pose de savoir s’il appartient à la Couronne d’Angleterre. Peut-être un festin en l’honneur du Brexit?

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2049, 22 juillet 2016)