En retard et trop ponctuelle

Tout le monde le sait, les Suisses sont ponctuels. Grâce à leurs excellentes montres, ils savent que l’heure c’est l’heure, qu’avant l’heure c’est pas l’heure, et qu’après l’heure c’est plus l’heure.

Les Vaudois… disons… peut-être un peu moins… mais quand même. Les rédacteurs de La Nation rendent leurs copies au tout dernier moment, mais juste à temps tout de même pour qu’elles soient imprimées.

On ne peut pas en dire autant de la Suisse. La Suisse est en retard. Elle est toujours en retard. Vous ne pouvez pas ouvrir un journal de la grande presse, suivre une émission de radio ou de télévision ou écouter un quelconque observateur de notre société sans apprendre avec inquiétude que la Suisse est en retard. Elle est en retard dans tous les domaines, technologiques, politiques, sociaux, éducatifs, artistiques. En retard quant au maternage des citoyens et à leur prise en charge par l’Etat. En retard quant à l’ouverture aux autres, aux idées nouvelles, au progrès social. Chaque fois qu’un journaliste, ou n’importe qui d’autre se prenant pour un guide moral, ressent une frustration aiguë en découvrant que la Suisse ne correspond pas (encore) à son idéal, il diagnostique un retard. Et si les choses évoluent dans un sens contraire à ses désirs, il en conclut que le retard s’accroît. Mais il ne s’agit toujours que d’un simple retard: le train de l’Histoire ne recule que pour mieux manœuvrer et il ne saurait suivre un autre itinéraire ni un autre horaire que ceux d’ores et déjà tracés par les penseurs de notre futur. Accessoirement, les litanies désespérées sur le retard de la Suisse permettent opportunément aux élites intellectuelles helvétiques d’accomplir leur devoir de dénigrement antipatriotique.

Ce qu’on oublie de nous dire – car on nous cache beaucoup de choses –, c’est qu’il existe des pays encore beaucoup plus en retard que la Suisse: plus en retard en matière d’immigration et de surpopulation, plus en retard en matière de criminalité, plus en retard en matière de réformes scolaires, d’analphabétisme, de téléréalité et d’écervellement politique.

On aimerait parfois que la Suisse toujours en retard soit moins ponctuelle et traîne davantage les pieds.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2045, 27 mai 2016)