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Critique péremptoire et définitive du débat démocratique

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Votre programme est nul! – Et vous, vous ne tenez pas vos promesses! – Vous êtes les responsables de tout ce qui va mal! – Et vous des irresponsables! – Depuis que vous avez été élus, vous n'avez fait que des crétineries! – Mais lorsque vous étiez au pouvoir, vous avez fait la même chose! – Vous êtes la honte de la nation! – Vous êtes un danger pour la paix sociale! – Pourri! – Vendu! – Voleur! – Tricheur! – Populiste! – Fasciste! – Primate!

Si quelqu'un vous demande une fois d'expliquer ce qu'est la démocratie, vous pourrez toujours lui répondre que c'est à peu près cela. Il s'agit d'un système politique censé permettre aux citoyens de vivre en bonne intelligence, dans l'écoute et le respect des opinions de chacun. Concrètement, des individus qui ne sont d'accord sur rien s'invectivent sur les plateaux de télévision et sur les réseaux sociaux, en se lançant à la face des arguments qui sont la plupart du temps d'une pauvreté affligeante – et qui, même s'ils étaient excellents, ne convaincraient de toute manière jamais aucun contradicteur, tant l'enjeu est d'abord de défendre son camp sans céder d'un pouce, en ne se souciant que très secondairement de ce qui est bien ou mal, ou vrai ou faux. Car la Vérité, chacun sait qu'il la détient. Il n'y a pas de place pour le doute. Ni pour le silence, surtout: l'important est d'«occuper le terrain», de faire un maximum de bruit pour étouffer celui que tente de faire l'adversaire. De répondre, de répliquer, de dupliquer, dans l'espoir (souvent vain) d'avoir le dernier mot. Inutile de songer à dire des choses intelligentes, subtiles, originales. En démocratie, il faut être péremptoire plus que convaincant.

La démocratie, ce sont les querelles et les manœuvres électorales qui ont divisé les Français ces dernières semaines. Ce sont aussi les propos condescendants tenus par la presse socialiste suisse à propos du nouveau conseiller fédéral, jugé (en résumé) fréquentable quoiqu'UDC, mais décevant parce que pas assez UDC (alors qu'on aurait entendu des cris d'orfraie si on avait élu un candidat trop UDC).

Ces débats d'idées démocratiques nous chagrinent et nous accablent d'autant plus lorsqu'ils surviennent dans notre entourage, et que même nos connaissances les plus recommandables se lancent dans maintes batailles en faveur de tel ou tel parti censé avoir des idées plus justes (ou moins fausses) que les autres. Tout cela dégénère la plupart du temps en d'interminables duels (ça se dit, «truels»?) où chacun tient absolument à dire ce qu'il pense – la propension des gens à dire ce qu'ils pensent étant l'une des choses les plus horripilantes au monde.

Cela nous amène à affirmer, de manière non moins péremptoire, qu'il est plus sage d'avoir moins d'opinions et davantage de connaissances. Ouvrez des livres, surfez sur Wikipedia, apprenez l'histoire, la géographie, la programmation informatique, le tableau périodique des éléments, la culture des bonsaïs ou ce que vous voulez. Vos discussions seront moins démocratiques mais plus intéressantes.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2034, 25 décembre 2015)