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Des éloges dépassés

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Nous sommes bien conscient que La Nation est rarement tendre avec les membres du gouvernement fédéral. Nous imaginions toutefois difficilement que notre bimensuel favori oserait cette fois pousser l'effronterie jusqu'à ne pas se joindre aux légitimes dithyrambes par lesquels l'ensemble de la presse romande, liquéfiée d'admiration, a salué le départ de Mme Eveline Widmer-Schlumpf, cette grande dame qui s'est comportée comme une vraie femme d'Etat et qui part aujourd'hui la tête haute après une magistrature exemplaire.

Car enfin, Mme Widmer-Schlumpf n'a-t-elle pas tout fait pour plaire aux lecteurs de La Nation? N'a-t-elle pas sauvé le secret bancaire?[1] N'a-t-elle pas fait preuve d'une transparence exemplaire?[2] N'a-t-elle pas su dépasser les clivages partisans?[3] Ne s'est-elle pas dressée contre les partis?[4] N'a-t-elle pas réussi à démontrer l'indigence de ces derniers?[5] Ne s'est-elle pas imposée comme une incarnation du pouvoir héréditaire?[6]

Mais ce n'est pas tout, car Eveline Widmer-Schlumpf est vraiment phénoménale. On dit que, bien avant de détrôner le terrible Christoph Blocher, elle a aussi circonvenu le Minotaure, vendu Charybde et Scylla et effrayé d'un même regard l'Hydre de Lerne et la gorgone Méduse. Le huitième jour, elle a créé la Suisse et tout ce qui s'y trouve, et elle a vu que cela était bien. Mais ce n'est pas tout. Il paraît qu'elle est née dans une cabane en rondins qu'elle avait construite elle-même. Quand elle était petite, elle n'envoyait pas de lettres au Père Noël, mais des ultimatums. On dit qu'elle est capable de couper des atomes, à mains nues. De réciter le nombre Pi jusqu'à sa dernière décimale. De manger de la charcuterie sans attraper un cancer. La seule fois où elle a eu tort, c'est quand elle a cru qu'elle avait fait une erreur. Quand Google ne trouve pas quelque chose, il demande à Eveline Widmer-Schlumpf. La force de gravité, c'est ce qui fait que la Terre tient sous Eveline Widmer-Schlumpf. Si la lumière va plus vite qu'Eveline Widmer-Schlumpf, c'est qu'elle a peur d'elle. Certaines personnes portent un pyjama «Chuck Norris», mais Chuck Norris porte un pyjama «Eveline Widmer-Schlumpf».

D'ailleurs, si vous cherchez «Chuck Norris» sur Google, vous trouvez des sites de blagues sur Chuck Norris. Mais si vous tapez www.ews.ch sur internet, on vous parle d'énergie, de puissance, de réseaux, de talent, de fiabilité. Parce qu'on ne plaisante pas avec EWS. Et si des éloges sur EWS sont déplacés, c'est qu'elle les a déplacés elle-même, par la seule force de sa pensée.

Et maintenant, elle s'en va. C'est aussi une qualité.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2031, 13 novembre 2015)

 

[1] Du moins celui des paradis fiscaux anglais et américains, en dépeçant celui de la Suisse.

[2] Envers le fisc américain.

[3] En militant à gauche durant toute sa carrière tout en siégeant au sein de l'UDC.

[4] Du moins contre le sien, qu'elle a trahi avec l'aide des autres.

[5] En suscitant l'apparition d'un nouveau parti dont personne, même parmi ses adhérents, n'est sûr de connaître l'ordre exact des trois lettres qui le désignent.

[6] Toute jeune déjà, elle a fait élire son père au Conseil fédéral.