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Les juges étrangers ne sont pas nos alliés

Après son premier arrêt de décembre 2013, la Cour européenne des droits de l'Homme a confirmé en appel, le 15 octobre dernier, la condamnation de la Suisse pour violation de la liberté d'expression. Elle a ainsi donné raison au politicien turc Dogu Perinçek, qui contestait l'amende qui lui avait été infligée en 2007 par la justice helvétique pour avoir affirmé publiquement que la thèse du génocide arménien était un «mensonge international».

Me Yves Nidegger, avocat de M. Perinçek, mais aussi conseiller national UDC, s'est réjoui publiquement de ce verdict qui, selon lui, remet en question la norme antiraciste suisse, combattue par l'UDC. Me Nidegger a constaté avec une satisfaction non dissimulée que cette affaire serait «un casse-tête insoluble pour tous ceux qui, à gauche et au centre, vénèrent à la fois la norme antiraciste et la jurisprudence des juges de Strasbourg comme deux vaches sacrées».

Les anti-UDC primaires se sont évidemment gaussés de voir Me Nidegger, très engagé dans la lutte contre le pouvoir des juges étrangers en Suisse, applaudir soudain, pour des motifs d'opportunisme partisan, un verdict rendu par ces mêmes juges.

Nous n'aimons pas beaucoup les anti-UDC primaires. Toutefois, en l'occurrence, nous ne pouvons pas leur donner entièrement tort. On ne doit en effet jamais, et pour aucun motif, se réjouir de voir la Suisse condamnée par des juges étrangers. De telles condamnations portent atteinte à la souveraineté helvétique et cette atteinte ne saurait être «compensée» par des arguments de politique intérieure. La norme pénale antiraciste doit donc être combattue autrement qu'avec l'appui des juges de Strasbourg – lesquels ne sont d'ailleurs probablement pas favorables à son abolition, ni à la liberté de parole revendiquée par l'UDC.

Cette affaire permet de rappeler que M. Christoph Blocher, alors qu'il était conseiller fédéral, avait également eu tort de critiquer la norme pénale antiraciste suisse lors d'un voyage officiel en Turquie en 2006. Il est inconvenant qu'un représentant des autorités tienne des propos négatifs sur son propre pays – même s'ils sont justifiés sur le fond – devant des représentants d'un autre Etat.

(La Nation n° 2030, 30 octobre 2015)

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