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L'exaspérante odeur du changement

Que ce qui est privé reste privé, et que ce qui est public reste public. On ne dira jamais assez à quel point tout changement représente un facteur de désordre et un risque de décadence civilisationnelle. La libéralisation des services téléphoniques, lancée chez nous il y a une dizaine d'années - et saluée même par des communistes purs et durs - en est un exemple désolant.

La grande presse a déjà évoqué le remplacement du 111 par des numéros à quatre chiffres imposés par quelques bureaucrates europhiles, lesquels exigent aujourd'hui, pour masquer la confusion qu'ils ont créée, que les pompiers changent eux aussi leur numéro d'urgence! On parle en revanche trop peu de la concurrence ni fraîche ni joyeuse entre les opérateurs, laquelle nous offre chaque jour le spectacle d'une guerre commerciale aux relents de campagne électorale, où ceux qui gagnent sont ceux qui savent le mieux flatter les bas instincts du peuple. A commencer par l'avarice: quoi de plus ignoble que cette course aux centimes et aux fractions de centimes, grappillés ici ou là au gré d'abonnements «Plus», «Fun», «Super-Fun», «Méga-Cool» ou «Top-Challenge» – dont on se demande toujours s'ils permettent aussi de téléphoner en français. Que de temps perdu à jongler avec des numéros de présélection, à courir à la recherche de l'offre la plus gratuite – qui sera aussitôt dépassée par une autre encore plus gratuite – et à inonder son entourage de vains bavardages téléphoniques!

Outre nos boîtes aux lettres, ce sont maintenant nos téléphones eux-mêmes qui sont envahis par la publicité. Des démarcheurs malhabiles nous sollicitent à tout heure du jour pour nous proposer d'une voix faussement enjouée des rabais phénoménaux sur des montants ridiculement bas, et tombent de leur chaise lorsque nous leur répondons que nous ne voulons pas payer moins cher.

Le comble de l'abomination est atteint lorsque l'opérateur chez qui nous avons décidé de rester – par conservatisme plus que par satisfaction – se met en tête de nous offrir des cadeaux pour nous remercier de notre «fidélité». Un peu comme les explorateurs offraient de la verroterie aux tribus indigènes qu'ils rencontraient: tenez un merveilleux stylo-bille, et voici un amusant porte-clés... Je me méfie des opérateurs téléphoniques, même lorsqu'ils donnent des cadeaux! En décembre, ma facture était accompagnée d'un petit sapin en carton censé répandre un effluve agréable dans ma voiture. J'ai supporté cette exaspérante odeur de fleurs chimiques pendant trois jours avant de jeter le sinistre cadeau dans une poubelle, en me souvenant avec nostalgie de l'époque où les PTT n'auraient jamais osé nous faire ça.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 19 janvier 2007)