Tous mes articles

Xénophobie ordinaire dans Le Temps

La Bosnie vaut bien un supermarché, sans doute

Chaque jour, je lis Le Temps, et chaque jour je suis reconnaissant à tous ces journalistes qui acceptent de sacrifier la partie informative de leur travail pour promouvoir d'abord un ordre moral antiraciste, socialiste et internationaliste et dénonce les méchants réactionnaires à la vindicte intellectuelle. Ils ont été très forts ces derniers Temps (si seulement c'étaient les derniers…).

En écrivant cela, je me rappelle pourtant avec effroi – horresco referens – un terrible dérapage commis il y a un ou deux mois, en première page. Le militant-journaliste devait défendre l'idée d'un engagement international de troupes armées suisses. Ça c'est bien. C'est moral. Mais l'argument trouvé était malheureux: un haut gradé de notre armée arrive en Bosnie pour visiter les troupes suisses stationnées là-bas, mais sans armes. Lorsqu'il descend de l'avion, ce sont des soldats espagnols qui assurent sa protection. Et l'officier et le journaliste d'avouer leur honte que l'armée suisse ne soit même pas en mesure de défendre elle-même ses supérieurs à l'étranger…

Avant d'aller scruter les tableaux d'affichage public de Rougemont, les journalistes du Temps pourraient trouver de beaux sujets d'indignation en se relisant eux-mêmes: a-t-on déjà vu, dans un journal qui se veut moral, un pareil relent de nationalisme étriqué, de xénophobie primaire, d'exclusion méprisante? Si un officier suisse accepte de se faire servir par des Espagnols lorsqu'il va dans un supermarché, pourquoi ne pourrait-il pas se faire protéger par des Espagnols lorsqu'il va en Bosnie? Hein?

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 19 juin 1998)