Tous mes articles

Toujours la même chose

Illustration

Je te dis toujours la même chose, parce que c'est toujours la même chose; et si ce n'était pas toujours la même chose, je ne te dirais pas toujours la même chose. (Molière, Don Juan ou le Festin de pierre, acte II, scène première, réplique de Pierrot à Charlotte)

Lorsqu'on s'attelle à la tâche récurrente d'argumenter contre les incessantes initiatives populaires lancées par les milieux de gauche, on s'entend souvent opposer ce reproche: «Bah, vous dites toujours la même chose!» Comme si cela suffisait à discréditer l'argumentation… Il n'y a pourtant rien là de mystérieux: dès lors que ces initiatives vont toujours dans le même sens, il est assez logique qu'on leur adresse toujours les mêmes critiques. Un maître d'école qui demanderait quinze fois à Toto combien font 2+2 serait bien en peine de s'étonner que Toto réponde invariablement: «4». (Encore que, ça dépend des élèves, et aussi du sérieux des programmes scolaires; mais nous ne parlons ici que des bons élèves de l'école traditionnelle.)

En particulier, on est obligé de redire à chaque fois qu'en détériorant les conditions de travail des entreprises, ou les conditions de vie des riches contribuables, on risque de les faire fuir hors de Suisse et donc de perdre de généreux contributeurs – plus ou moins généreux peut-être mais contributeurs tout de même. «Balivernes! nous rétorquent nos contradicteurs, vous nous avez déjà dit la même chose avant toutes les précédentes votations et les riches et les entreprises n'ont pas déserté la Suisse.» Oui… sauf que, précisément, la plupart de ces initiatives ont été rejetées. Les Suisses ont refusé d'instaurer un salaire minimum légal, de fixer un écart maximum entre les salaires les plus bas et les plus élevés, et aussi d'offrir six semaines de vacances à tous les salariés. Quelques faux pas ont certes été commis – sinon pourquoi serait-on antidémocrate? – mais, dans l'ensemble, les propositions les plus déraisonnables ont été repoussées.

Ceci explique cela: tant que, par peur du feu, on renonce à craquer une allumette, on se rassure en constatant qu'il n'y a pas d'incendie. Est-ce à dire que la peur du feu est infondée?

Nous continuerons donc à dire toujours la même chose, parce que c'est toujours la même chose: si on fait fuir ceux qui possèdent de l'argent, il ne restera progressivement plus que des pauvres, peut-être disposés à voter pour le Parti socialiste – quoique…  – mais certainement pas à financer sa politique.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2004, 31 octobre 2014)