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Défense des classes laborieuses

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Quand on est de gauche, on préfère les intellectuels.

On défend les petites gens, bien sûr, mais on les défend de loin. Les ouvriers, les mécaniciens, les charpentiers, les plombiers, les boulangers, les jardiniers, tous ces gens qui travaillent avec leurs mains, qui transpirent, qui se salissent, voire se blessent; ces gens qui dès l'adolescence se lancent dans l'apprentissage d'un métier et fréquentent des entreprises; ces gens qui ne recherchent pas forcément des postes en vue, qui se satisfont de salaires moyens, parce qu'ils aiment leur travail, leur famille, parfois même leur patrie; ces gens qui, souvent, persistent à se marier avec une personne du sexe opposé, et qui ne veulent pas que leur petit garçon porte des jupes, ni que leur petite fille devienne grutière pour satisfaire un quota légal; ces gens des classes populaires qui en viennent quelquefois à voter pour des partis populistes, parce que leur opinion envers les étrangers est faussée par le fait qu'ils les côtoient; non, décidément, on ne peut pas compter sur eux pour créer un monde nouveau, en perpétuelle mutation!

L'exemple de la Suisse allemande est éloquent: en y vantant les mérites de l'apprentissage et des formations pratiques, on finit par créer des majorités de citoyens arriérés qui votent contre la caisse-maladie unique, contre l'immigration, contre l'Europe. Là-bas, même les socialistes deviennent des sociaux-traîtres en s'obstinant à défendre la formation professionnelle.

Quand on est de gauche et romand, donc, on préfère encourager les formations académiques, qui préservent les jeunes gens de l'influence délétère de la vraie vie en les enveloppant d'un cocon protecteur au sein duquel ils peuvent continuer à rêver d'une société égalitaire et bigarrée. Quand on est de gauche et romand, on sait que, pour créer de nouvelles générations de petits socialistes, il ne suffit pas de faire venir des familles du sud pour pallier la natalité cacochyme des populations locales, mais il faut aussi envoyer ensuite ces futurs électeurs sur les bancs de l'université et les y clouer jusqu'à l'âge de quarante ans au moins.

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Cela n'a certainement rien à voir, mais Mme Judith Mayencourt, journaliste à 24heures après l'avoir été à la radio-télévision d'Etat, s'est fendue le 3 octobre d'un article assez teigneux contre l'apprentissage. Visiblement agacée d'entendre tant de monde vanter le succès de ce modèle – y compris le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann, qui dit des choses très raisonnables les rares fois où il existe –, Mme Mayencourt brandit triomphalement une étude de l'Union syndicale suisse montrant que les hausses de salaires profitent davantage aux revenus les plus élevés, donc aux professions universitaires, tandis que ces pauvres détenteurs de CFC «sont en train de décrocher du train de la prospérité» (sic). Elle en conclut, toujours triomphalement, que «la voie duale n'est pas si royale qu'on le dit» (visiblement, le cliché royal = riche a la vie dure).

Au fond, cette journaliste a raison: on devrait couper hardiment dans les revenus des élites intellectuelles autoproclamées, qui n'écrivent que des sottises, afin de pouvoir payer davantage ceux qui ont fait l'effort d'apprendre un métier.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2003, 17 octobre 2014)