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Titre

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La dernière chose que l'on fait lorsqu'on écrit un excellent article – pour un article médiocre, c'est moins important – est de choisir le titre. Un titre se lit en premier mais s'écrit en dernier, car il doit accrocher l'œil du lecteur en résumant le contenu du message, ce que l'on peut difficilement faire avant d'avoir écrit l'article, ou de l'avoir lu, ou de l'avoir compris. (On admettra une exception pour les rares cas où l'auteur veut absolument placer un titre génial qu'il s'efforce ensuite de justifier au moment de rédiger son article; on parle alors d'un excellent titre, pas d'un excellent article.)

L'exercice est difficile et le succès n'est pas toujours assuré. Dans certains journaux pourtant bien intentionnés, on trouve des gens qui réécrivent vos titres en fonction du seul critère de la place disponible – qui ne correspond pas toujours, tant s'en faut, aux normes pourtant précises qu'ils ont préalablement fixées. Allonger, raccourcir, pourquoi pas?… à condition qu'on ait saisi le message que veut faire passer l'auteur et qu'on n'écrive pas exactement le contraire! A défaut, on pourrait tout aussi bien ajouter ou enlever des «s» à la fin de chaque mot jusqu'à obtenir le nombre de signes désiré.

Dans d'autres cas, c'est la volonté d'attirer l'attention du lecteur qui prime sur le résumé du message, voire sur le sens des mots. Un quotidien de la place titrait récemment: «Les milieux économiques romands tirent sur les successions.» Qu'est-ce que ça veut dire exactement, «tirer sur les successions»? Le lecteur non averti comprend-il qu'il est question de critiques adressées à une initiative socialiste réclamant un impôt fédéral de 20% sur les successions et donations, et qu'en l'occurrence ce ne sont pas les milieux économiques mais bien les socialistes qui tirent sur les successions? Nous n'irons évidemment pas jusqu'à imaginer qu'une telle maladresse rédactionnelle ait pu exprimer un quelconque message subliminal de la part d'un journaliste ayant – serait-ce possible? – le cœur un peu à gauche.

Dans un genre encore plus malhonnête, la presse française avait publié en 2012 une dépêche intitulée: «Une voiture de police tue une prostituée à Nice.» Il fallait lire le contenu pour découvrir que la voiture de police en question avait été projetée sur un trottoir après avoir été percutée par le véhicule d'un voyou…

Bien souvent, les coupables de ces mauvais titres ne sont même pas ceux qui signent l'article; ils interviennent à la suite de ceux-ci, anonymement et impunément. Heureusement, le journal que vous tenez entre les mains ne se livre pas à de tels procédés – du moins lorsque les titres proposés sont bons. En l'occurrence, l'auteur de la présente contribution a personnellement vérifié, jusque dans l'antre de l'imprimerie, l'intégrité absolue du titre qu'il a finement ciselé – juste, simple, direct, percutant.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n°2001 du 19 septembre 2014)