Tous mes articles

Manger ou être mangé, telle est la question

C'est un véritable génocide que nous a révélé, il y a quelques jours, le site internet du Matin. Un génocide qui vise les plus petits et les plus faibles, et qui se répète chaque année ici même, sous nos yeux, dans l'indifférence la plus totale des autorités. Les spécialistes estiment en effet à 1,2 million le nombre d'oisillons croqués chaque année par les chats.

Ce résultat est obtenu en considérant que 1,2 million de chats vivent en Suisse et que chacun d'entre eux attrape en moyenne un oiseau par année. La performance individuelle peut paraître un peu misérable. De plus, l'ampleur du désastre est difficile à évaluer si on ne nous donne aucun chiffre sur la population aviaire helvétique. Il n'empêche que, habilement présenté, le sujet permet un article bien émouvant qui fait passer votre adoooooorable minou pour Jack l'Eventreur et vous-même, son propriétaire, pour un abominable criminel de guerre méritant d'être livré pieds et poings liés à la non moins abominable Carla Del Ponte.

Curieux tout de même. On croyait jusqu'à présent, selon le crédo écologiste, que la nature était bonne et que seul l'homme la corrompait. Qu'il suffisait d'éliminer l'homme de la nature pour laisser celle-ci vivre naturellement. Et maintenant, on nous explique que la nature laissée à elle-même peut être cruelle et destructrice, qu'il faut distinguer le bon cycle naturel du mauvais cycle naturel, et que l'homme doit intervenir pour rétablir l'égalité et la fraternité entre les bêtes.

La réalité, lisible entre les lignes, est qu'il y a trop de chats («50 à 60 au kilomètre carré dans les zone habitées de basse altitude», nous précise-t-on). Faut-il alors procéder à quelque épuration féline qui apparaîtrait comme un engagement citoyen et revaloriserait la rubrique injustement dénigrée des chats écrasés? Telle n'est pas la voie préconisée dans Le Matin par le directeur de BirdLife, association pour la protection des oiseaux anglophones, qui invite plutôt chaque propriétaire de chat à enfermer celui-ci dans la maison durant le mois de juin et à ne le laisser sortir que la nuit, «où il trouvera suffisamment de rongeurs».

Manger des rongeurs? Quelle horreur! N'y a-t-il pas une association RodentLife pour alerter l'opinion publique? Et d'abord, pourquoi prendre le parti des oiseaux plutôt que des chats? Parce qu'ils sont plus petits? Alors pourquoi ne pas défendre les insectes, les araignées et les limaces contre ces affreux prédateurs que sont les oiseaux? L'idéal écologiste consisterait-il à transformer – à grand renfort de modifications génétiques, d'expérimentations chimiques et de camps de rééducation – tous les animaux en végétaliens? Mais les amis des végétaux se mobiliseront contre ce massacre.

Bref, on n'est pas sorti de l'auberge, si l'on ose dire.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 15 juin 2012)