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La formule magique polycentralisatrice

«En Suisse, fédéralisme oblige, la politique de [un domaine d'activité quelconque] est caractérisée par la répartition des tâches entre la Confédération, les cantons et les communes. Ce sont principalement les cantons et les communes qui sont compétents en la matière, ce qui explique la diversité observée dans la manière dont les tâches concernées sont assumées et mises en œuvre. Eu égard aux défis qui se posent actuellement dans le domaine de la politique de [un domaine d'activité quelconque], la [une commission quelconque] estime qu'il convient d'améliorer et de renforcer les mesures prises par la Confédération à ce niveau. Ainsi, la [une commission quelconque] propose de compléter l'art. [un chiffre quelconque] de la Constitution fédérale de telle sorte que la Confédération soit habilitée à fixer les principes applicables à [un domaine d'activité quelconque].

La nouvelle disposition constitutionnelle n'a pas pour objectif de bouleverser la répartition actuelle des compétences. La Confédération est uniquement chargée d'intervenir de manière coordonnée, en fixant des règles générales, sans porter atteinte à la répartition des tâches fondée sur le principe de subsidiarité. Contrairement à la situation actuelle, elle doit pourtant pouvoir fixer, si besoin est, des normes minimales.»


Le texte reproduit ci-dessus constitue le canevas universel à disposition des fonctionnaires fédéraux désireux de réglementer, de réguler, de contrôler et de diriger la vie de leurs (relativement) semblables. Tout y est: les compétences cantonales et communales mentionnées avec un respect obligé mâtiné de condescendance appuyée, comme une survivance du Moyen Age; la «diversité», par quoi il faut entendre ici la mauvaise diversité puisqu'il n'est pas question d'immigration monochrome ou de mœurs à la mode; les fameux «défis qui se posent actuellement», dont on ne sait rien mais qu'on nous suggère d'imaginer gigantesques; le «il convient de» qui signifie «nous exigeons».

Le second paragraphe ne mentionne même plus le sujet dont on parle: il est exclusivement destiné à amadouer le politicien moyen, le politicien bonhomme, le politicien du terroir qui aime à se dire fédéraliste lorsqu'il doit s'exprimer en public, et qui n'apprécie pas de se voir imposer des ignominies de façon trop brusque. On lui affirme donc avec aplomb, et sans même se donner la peine de faire semblant d'argumenter, que le bouleversement proposé n'en est pas un et que le transfert du pouvoir ne changera rien à la répartition des compétences. A ce mensonge frontal, on en ajoute encore un demi en prétendant que la Confédération se contentera de fixer des «règles générales» et des «normes minimales» – le politicien moyen n'étant pas censé savoir à quel degré de généralité et de minimalisme les technocrates s'arrêteront.

Pour satisfaire votre curiosité, la dernière utilisation en date de ce canevas date du 12 novembre; le domaine d'activité choisi est «l'enfance et la jeunesse», l'article constitutionnel visé est le «67» et le texte émane de la «Commission de la science, de l'éducation et de la culture du Conseil national». On peut être certain qu'aucun parlementaire n'osera être contre l'enfance et la jeunesse.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 30 novembre 2012)