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Du bon ordre des institutions

(et des dirigeants nord-coréens)

On a l'habitude de voir des partis politiques «bien rodés» lancer des initiatives populaires avant les élections, dans l'espoir de faire parler d'eux et de séduire quelques électeurs supplémentaires. Il arrive aussi que certains candidats un peu moins malins se mettent à récolter des signatures après avoir raté leur élection. C'est apparemment le cas des quelques citoyens de l'Oberland bernois qui ont lancé fin novembre une nouvelle initiative populaire fédérale intitulée «Récompenser la participation aux élections et aux votations par une déduction fiscale». Elle a la teneur suivante: «Les citoyens et citoyennes ayant le droit de vote qui participent à une votation ou à une élection bénéficient des déductions fiscales suivantes: a. pour les votations et les élections communales, 25 francs par objet soumis au vote et par scrutin électoral; b. pour les votations et les élections cantonales, 50 francs par objet soumis au vote et par scrutin électoral; c. pour les votations et les élections fédérales, 100 francs par objet soumis au vote et par scrutin électoral. […]»

Par essence, une déduction fiscale est une mesure louable: l'argent que l'Etat n'encaisse pas a au moins une chance d'être dépensé à bon escient par celui qui l'a gagné. Cela étant, les déductions proposées n'ont assurément pas une ampleur telle qu'elles puissent mobiliser des foules d'électeurs. C'est une première objection.

La deuxième objection est que cette initiative vise à encourager les citoyens à voter; or, lorsqu'on voit ce que votent les citoyens aujourd'hui, on doute fortement qu'il faille les encourager dans cette voie, et encore moins les récompenser pour les résultats désolants qui sortent des urnes. Ne vaudrait-il pas mieux payer ceux qui s'abstiennent de mal voter? Ou subventionner directement les parlementaires fédéraux à chaque fois qu'ils votent «non» à quelque projet que ce soit?

Mais l'aspect le plus scandaleux du texte en question reste bien entendu la gradation envisagée, où l'on accorderait un prix deux fois plus élevé à une votation fédérale qu'à un scrutin cantonal! Comment justifier une telle inversion de l'échelle des valeurs?

Cette incapacité du monde moderne à respecter le bon ordre des choses est insupportable. Et s'il y a une chose que nous ne pardonnerons pas au regretté dirigeant nord-coréen Kim Jong-il, c'est bien d'avoir nommé son troisième fils Kim Jong-un.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 30 décembre 2011)