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Où le chaos démocratico-libéral ouvre la porte au nationalisme vaudois

Chacun sait que les ordinateurs lisent les adresses internet comme nous lisons l'arabe et l'hébreu: de droite à gauche. Ils commencent donc par repérer, à la fin, le «nom de domaine de premier niveau» que nous appelons communément «extension» et qui renvoie au pays dans lequel le site est enregistré: .ch pour la Suisse, .fr pour la France, .de pour l'Allemagne, .it pour l'Italie et ainsi de suite. Ces noms de domaine «nationaux» en côtoient d'autres dits «génériques», tels que .com, .net, .org ou .info, qui déjà aujourd'hui sèment parfois quelque confusion.

Ces «noms de domaines de premier niveau» constituent ainsi des communautés identifiées au niveau mondial, et c'est à l'intérieur de ces communautés que l'on peut repérer (en continuant à lire de droite à gauche) les sites que nous connaissons. Par exemple: ligue-vaudoise.ch, ou vd.ch.

La haute autorité du système internet a maintenant décidé de libéraliser ces noms de domaine finals. Non par une quelconque nécessité technique, mais par simple volonté de libéraliser, de démocratiser tout ce qui ne l'est pas encore. Cela signifie que, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes (185'000 dollars pour déposer une demande et 25'000 dollars par année si la demande est acceptée, sans compter d'importants frais d'exploitation), des entreprises, des organisations ou des collectivités publiques pourront posséder leur propre top-level domain, c'est-à-dire être directement répertoriées au niveau mondial sans devoir se rattacher à un domaine national ou générique.

Concrètement – et pour autant que les lecteurs de La Nation se montrent particulièrement généreux au moment de renouveler leur abonnement –, la Ligue vaudoise pourrait abandonner son adresse «suisse» ligue-vaudoise.ch pour s'identifier au niveau mondial avec la simple expression ligue-vaudoise. Gageons que le Vaudois moyen ne comprendrait plus qu'il s'agit d'une adresse internet. Ou alors il se tromperait et continuerait, par habitude, à y ajouter un «.ch». (Comment? Il ne faut plus mettre «.ch»? Mais alors il faut mettre quoi à la place? Comment ça, plus rien?...)

Autre cas de figure, statistiquement peu probable mais techniquement possible: le vigneron Bolomey, tout fier d'avoir réservé son adresse bolomey.ch avant ses homonymes helvètes, pourrait soudain se retrouver face à une adresse «mondiale» bolomey (sans rien à la fin) qui au mieux lui ferait ombrage, au pire le discréditerait.
En parallèle, on verra (on voit déjà) des sociétés tenter de réserver des noms génériques courants, par exemple .sport, .auto, .immo ou .vins, dans l'espoir que des entreprises se sentent obligées d'y réserver leur sous-domaine. M. Bolomey, ébloui par un discours habile, se laissera peut-être convaincre d'acquérir une adresse bolomey.vins, à un prix évidemment beaucoup plus élevé que les 17 francs annuels exigés pour bolomey.ch.

En résumé, ça va être du chenit. Et tout cela pour le seul plaisir de démanteler un système arbitrairement structuré et limité, que chacun connaît et comprend, et de le remplacer par un système anarchique où n'importe qui, pourvu qu'il en ait les moyens, pourra faire n'importe quoi. On passera de l'oligarchie éclairée à la démocratie chaotique, vérifiant en informatique ce qui n'est plus à démontrer en politique.

On nous permettra de terminer sur une note d'espoir. Si des collectivités publiques, moyennant moins d'un demi-million de francs, peuvent réserver leur propre «terminaison», et si la Catalogne l'a d'ores et déjà obtenue (.cat), alors rien ne s'oppose à ce que l'Etat de Vaud existe sur la toile non plus seulement en tant que canton suisse (vd.ch) mais aussi en tant que nation (vd tout seul, enregistré au niveau mondial). On verrait alors apparaître des adresses telles que bolomey.vd ou ligue-vaudoise.vd. Ce serait plaisant!

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 16 décembre 2011)